1/ Les enjeux du numérique pour le monde de l’Assurance ne sont plus à démontrer, la transformation digitale est bien en marche : quelle est votre place dans cette évolution ?
Nathalie Ramos : A titre personnel, cette transformation m’intéresse tout particulièrement puisqu’elle réunit mes deux passions : l’actuariat et l’informatique ! Les banquiers et les financiers ont rapidement identifié les opportunités. Le monde de l’assurance s’y est intéressé plus tardivement. Cependant, l’Institut des Actuaires a mis en place un groupe de travail « Big Data » dès 2013. Ce groupe de travail s’est donné pour missions de suivre les évolutions du Big Data. Engagée depuis cinq ans dans ce groupe, je travaille sur des cas concrets liés à l’assurance, que ce soit dans le cadre de missions ou au sein du Club Algo de l’Institut des Actuaires dont j’ai la responsabilité depuis deux ans.
Florence Chiu : Je préciserais que seuls les grands organismes d’assurance ou certaines start-up se sont positionnés sur le numérique et la transformation digitale. De la même façon, ils sont plutôt en avance en termes de data science. Les petites structures, quant à elles, ne sont pas encore prêtes à tous ces changements. Cependant, je suis convaincue que la data science pourrait leur apporter un vrai plus, nous devons en tant qu’actuaire data-scientist les accompagner. Cela permettrait notamment de revenir aux travaux traditionnels de l’actuaire.
Léonard Fontaine : Je compléterais ces points en soulignant que la transformation digitale est en route dans la plupart des compagnies d’assurance avec un volume de données disponibles, que ce soit en interne ou externe, de plus en plus conséquent. La concurrence et les exigences clients étant de plus en plus importantes, les compagnies se doivent de réagir au plus vite afin de pouvoir répondre et refléter au mieux la situation au jour d’aujourd’hui, que ce soit au niveau de la souscription, avec un ciblage plus précis des potentiels clients, ou sur le pilotage technique, avec une tarification en continuelle évolution ou sur des sujets annexes comme la fraude par exemple, ou plus généralement le parcours client.
2/ La data science au service de l’Assurance est-elle plus efficace que l’automatisation ? la robotisation ? et qu’en est-il de l’IA ?
Nathalie Ramos : Tout un chacun a pu remarquer le nouveau vocabulaire qui a vu le jour ces dernières années : datascience, intelligence artificielle, robotisation, etc. Tous ont pour fondement le développement des algorithmes. La datascience est très liée au machine learning par exemple. Or, le machine learning est une branche de l’intelligence artificielle. Les robots sont en évolution croissante et leurs fonctions sont déjà très variées : cela va du robot qui manipule des colis dans les entrepôts d’Amazon au « chatbot » qui répond à vos questions sur un site d’achat en passant par l’automatisation de certaines tâches fastidieuses pour les salariés dont la mise en place permet de se focaliser sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. Vous aurez compris mon propos : ces notions ne s’opposent pas mais sont bien complémentaires.
Florence Chiu : J’ajoute que du fait de la réglementation qui fixe des délais de plus en plus courts en termes de reportings, il est nécessaire pour les assureurs d’automatiser la production notamment sur des sujets qu’ils maitrisent bien, comme les évaluations du Pilier 1 de la Directive Solvabilité 2. Ainsi, ils pourront se concentrer sur de nouveaux sujets, comme IFRS 17 ou sur des études pour lesquels la data science pourrait avoir une réelle valeur ajoutée (souscription, tarification, etc.).
Léonard Fontaine : J’observe que l’ensemble de ce vocabulaire a des points communs. En effet, l’automatisation peut être apparentée à des projets ayant pour objectifs de faire gagner du temps aux compagnies d’assurances alors que la Data Science serait utilisée sur des sujets pouvant améliorer la connaissance du risque, la connaissance client pour les organismes d’assurance avec une réelle valeur ajoutée en termes notamment de connaissance (risques, clients…) et de pilotage.
3/ En tant qu’Actuaire Data-scientist, que pensez-vous pouvoir apporter ?
Nathalie Ramos : Mon objectif est de mettre à profit le meilleur de ma « double casquette » d’actuaire datascientist au service des organismes d’assurance. Il s’agit, d’une part, de la culture du risque, de la réglementation et de l’engagement à protéger les données personnelles : trois éléments inhérents au métier d’actuaire. Pensons notamment au code déontologique auquel est soumis tout actuaire ainsi qu’à la norme « NPA5 ». D’autre part, je souhaite mettre en œuvre les compétences que j’ai acquises dans des outils de développement (R et Python), la connaissance et la maîtrise des packages indispensables. C’est là, la datascientist qui parle et qui peut déployer des compétences numériques au service de l’assurance.
Florence Chiu : Je pense que du fait d’une ouverture constante des données et des moyens de communication de plus en plus rapides, le métier d’actuaire, comme beaucoup d’autres métiers, va évoluer. La data science apporte alors une meilleure compréhension des comportements des assurés et des risques qu’ils portent. N’est-ce finalement pas ce qu’on demande aux actuaires ?
Léonard Fontaine : Je partage les propos de Nathalie et Florence, le métier d’actuaire est à la croisée des chemins. Maîtriser ces techniques, avec une vision concrète du métier de l’assurance nous permet de cibler et comprendre plus facilement les besoins des compagnies d’assurance et de les aider tant dans le pilotage que dans la création de nouveaux produits ou encore dans la gestion du risque.