Brève : Projet de loi sur le Partage de la Valeur

Comme attendu, l’accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur a été transposé en projet de loi et présenté en conseil des ministres mercredi 24 mai 2023. L’ANI présentait un total de 36 articles sur le partage de la valeur avec pour objectif d’améliorer le partage de la valeur en entreprise, de généraliser les dispositifs d’épargne salariale ou de les sécuriser.

Les organisations syndicales défendaient tout détricotage de l’accord quand le gouvernement promettait de proposer un projet de loi qui n’en serait qu’une stricte transposition. Dans les faits, ces déclarations ont été respectées : le projet de loi présente 15 articles, tous correspondant à une transcription plutôt fidèle d’articles de l’ANI.  Si la moitié des articles de l’ANI ne figure pas dans le projet de loi, il ne s’agit cependant pas d’un « détricotage » mais d’articles ne nécessitant pas de modification de la loi et seront donc a priori pris en compte par d’autres textes détaillés dans le projet de loi (PLF, PLFSS, Décrets à venir). Un suivi de ces sujets sera toutefois pertinent pour confirmer le respect total de l’ANI.

Parmi les 15 articles du projet de loi, les 7 suivants nous paraissent particulièrement importants et intéressants à étudier.

 

Concrètement, que modifient ces articles ? Quelles interrogations soulèvent-ils ?

Encourager et faciliter un développement de la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés par la négociation collective

Mesure :

Chaque branche professionnelle devra ouvrir des négociations avant le 30 juin 2024 visant à mettre à disposition des entreprises de moins de 50 salariés un dispositif de participation facultatif dont la formule peut déroger à la formule de référence de la participation et donner un résultat inférieur comme supérieur à celui de la formule légale.

Interrogations :

  • Les branches professionnelles vont-elles vraiment se saisir du sujet ? Depuis près de 20 ans la loi a renvoyé aux branches, à de nombreuses reprises, la faculté de négocier sur les sujets épargne salariale. En pratique, peu d’accords ont abouti ou ont réellement eu un effet. Peut-on attendre un changement de tendance avec l’ANI ?
  • Donner un résultat inférieur à la formule légale ? Pourquoi tenter de remettre en cause le « minima » d’une formule qui existe depuis 1967 ? Disposition très étonnante, d’autant plus que l’entreprise qui le souhaite a d’ores et déjà les moyens de donner moins que la participation légale sous la forme d’un intéressement (formule libre) voir de la nouvelle prime de partage de la valeur. N’est-ce pas déjà suffisant ?
  • Si la formule est moins disante que la formule légale pour les entreprises de moins de 50 salariés, que se passera-t-il quand elles dépasseront ce seuil ? Quid de l’éligibilité du chef d’entreprise, s’il n’est pas salarié, dans ce cas également ?

 

Faciliter la généralisation des dispositifs de partage de la valeur dans les entreprises d’au moins 11 salariés et de moins de 50 salariés

Mesure :

La mise en place d’un dispositif légal de partage de la valeur (participation, intéressement, PPV, abondement) pour les entreprises de 11 à 49 salariés réalisant un bénéfice net fiscal positif au moins égal à 1% du CA pendant 3 années consécutives et n’étant pas déjà couvertes par un dispositif de partage de la valeur sera obligatoire.

Interrogations :

  • On ne peut que saluer le principe d’une telle mesure pour développer l’épargne salariale dans les PME. Cependant c’est un travail de longue haleine : pour mémoire, les premières mesures en faveur des PME (création du PEI – Plan d’épargne interentreprise, éligibilité du dirigeant non salarié…) avaient été prises par la loi « Fabius » du 19 février 2001 !
  • La notion de bénéfice net fiscal, même si elle constitue la base de calcul de la participation est souvent d’une appréhension compliquée et peut générer des variations importantes qui ne sont pas en lien avec l’exploitation de l’entreprise. Ne serait-il pas plus simple de parler de résultat comptable avant impôt ?
  • Le seuil de 1% vient sans doute de la volonté de « retranscrire » l’ANI sans modification. On peut cependant s’interroger sur l’utilité d’un seuil d’un tel niveau ? Ne serait-il pas plus simple de parler de résultat positif ?
  • On peut supposer que l’assujettissement au bout de 3 années consécutives est « glissant » et donc reconductible ?

 

Mieux prendre en compte les résultats exceptionnels

Mesure :

Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, il faudra désormais prendre en compte les bénéfices exceptionnels dans les négociations portant sur la participation/l’intéressement. La définition d’une augmentation exceptionnelle du bénéfice sera déterminée lors de ces négociations et non pas par l’employeur contrairement à ce que proposait l’ANI.

Une négociation devra s’ouvrir avant le 30 juin 2024 dans les entreprises déjà couvertes par un accord de participation et/ou d’intéressement.

Interrogations :

  • On peut s’attendre à de nombreuses discussions sur la définition d’un bénéfice exceptionnel et souhaiter bon courage aux négociateurs sur ce sujet ! On comprend la volonté du législateur de ne pas s’immiscer dans ce sujet glissant, tant il peut être variable selon les situations d’entreprise, l’origine du bénéfice exceptionnel voire de la qualification même d’un bénéfice exceptionnel selon le point de vue de chacun ?
  • Une fois le bénéfice exceptionnel déterminé, on pourra également s’interroger sur le niveau de la part de ce bénéfice qu’il conviendrait de distribuer aux salariés ?
  • Les Commissaires aux Comptes auront-ils un rôle spécifique dans le contrôle de ce dispositif ?

 

Inscrire la PPV dans le champ du partage de la valeur et de l’épargne salariale

Mesure :

La PPV (Prime de Partage de la Valeur) pourra désormais être placée dans un plan d’épargne entreprise et/ou d’épargne retraite lorsqu’il(s) existe(nt).

De plus, il sera désormais possible d’octroyer deux PPV chaque année dans la limite de 3 000€ par prime.

Interrogations :

  • Il serait logique que cette prime soit exclue des plafonds des versements volontaires dans le PEE (25% de la rémunération annuelle brute) à l’instar des primes de participation ou d’intéressement ?
  • Cette prime pouvant être catégorielle ou limitée à certaines populations, est-il logique qu’elle puisse bénéficier d’un abondement si elle est épargnée ? N’y aurait-il pas dans ce cas une sorte de rupture du caractère collectif de l’épargne salariale ?
  • Prime de partage de la valeur, prime de partage de la valorisation de l’entreprise, prime d’intéressement et de supplément d’intéressement, prime de participation et de supplément de participation, mesure transitoire ou exceptionnelle ou pérennisée ou expérimentale pendant 5 ans… ça fait beaucoup non ? sans parler des traitement fiscaux et sociaux parfois différents… Mettons-nous à la place des entreprises et des salariés ! Plutôt que de « rajouter des couches » où tout le monde se perd, ne serait-il pas plus efficace, une bonne fois pour toute, de revisiter l’ensemble et le simplifier ?

 

Sécuriser les accords d’intéressement qui prévoient des primes plus favorables aux bas salaires

Mesure :

Les accords d’intéressement pourront désormais fixer un salaire plancher, un salaire plafond ou les deux pour la base de calcul de la part individuelle.

Interrogations :

  • L’instauration de planchers / plafonds pour la répartition de l’intéressement était déjà possible (cf. Guide de l’Epargne Salariale de 2014). Toutefois il est vrai que l’interprétation de certains URSSAF sur le sujet pouvait être variable.
  • Pour rappel les différents modes de répartition de l’intéressement / participation (proportionnalité aux salaires, temps de présence ou répartition uniforme) peuvent être combinés. De sorte qu’il est tout à fait possible de verser une sorte de « Talon minimum égalitaire » à tous pour favoriser les bas salaires, tout en respectant le caractère aléatoire du déclenchement de l’intéressement.
  • Une question subsiste toutefois. Et elle recueille également des interprétations variables de certains URSSAF : le versement d’une prime inversement proportionnelle aux salaires est-il possible ?

Mise en place des « Plan de partage de la valorisation de l’entreprise »

Mesure :

Un nouveau dispositif de partage de la valeur est mis en place pour permettre aux entreprises de toute taille qui le souhaitent de mettre en place par accord collectif un plan dit « Plan de partage de la valorisation de l’entreprise ».

Ce plan s’adresse à l’ensemble des salariés ayant au moins un an d’ancienneté qui se voient attribuer un montant indicatif. A l’issue d’une durée de trois ans, le salarié, s’il est toujours dans l’entreprise, perçoit le montant correspondant au pourcentage de valorisation de l’entreprise appliqué à ce montant indicatif. Les sommes versées peuvent être placées sur un dispositif d’épargne salariale comme les autres dispositifs de partage de la valeur.

Interrogations :

  • La valorisation d’entreprise est un sujet complexe et il sera important de bien déterminer dans les accords les modalités de valorisation et de son suivi. On comprend que cette mesure vise à éviter les mécanismes d’actionnariat salarié jugés parfois trop lourd et trop complexes dans les PME.
  • L’instauration d’un critère d’ancienneté spécifique (1 an au lieu de 3 mois pour l’épargne salariale) et de présence dans l’entreprise au moment du versement de la prime est sans doute une mesure sage pour permettre le développement de tels dispositifs. Pour autant cette règle diverge des règles à caractère général de l’épargne salariale, y compris en vigueur dans l’actionnariat salarié. Cette prime pourra-t-elle être complémentaire à un dispositif d’actionnariat salarié ou uniquement substitutive ?
  • Enfin, on peut se demander si, à l’instar de l’actionnariat salarié, la mise en place de cette nouvelle prime, devra être préalablement autorisée par l’assemblée générale des actionnaires.

 

Promouvoir une épargne verte, solidaire et responsable en incitant à l’orientation des fonds de l’épargne salariale vers des supports d’investissements à visée sociale, en faveur de la transition écologique ou de l’économie productive

Mesure :

Un fonds supplémentaire satisfaisant à des critères de financement de la transition énergétique et écologique ou d’investissement socialement responsable devra être proposé dans les PEE et PER en complément du fonds solidaire qui doit déjà être proposé dans ces plans.

Il convient de noter ici que l’ANI ne proposait la modification que pour les PER en comptes titres, le projet de loi prévoit de son côté d’appliquer la modification aux PER assurantiels également.

Interrogations :

  • L’investissement durable est en pleine évolution depuis quelques années (évolution de la réglementation européenne SFDR, du label français ISR, du label du CIES…). Au 31/12/2022, selon les statistiques établies par l’AFG, hors actionnariat salarié, 63% des encours d’épargne salariale (63 MM€) étaient investis dans des fonds ISR et/ou solidaires (contre 19% en 2010 et 50% en 2021). La liste des labels éligibles sera précisée par décret : on peut se demander comment sera déterminée cette liste de Label ou si une simple classification du fonds en SFDR article 9 pourra suffire.
  • Les fonds dit « solidaires » sont obligatoires depuis de nombreuses années en épargne salariale. Or la grande majorité de ces fonds solidaires sont également ISR. On peut donc se demander si la condition minimale de détention d’au moins un fonds ISR n’est déjà pas remplie à ce titre par tous les plans d’épargne salariale existants. A moins qu’il ne s’agisse de l’instauration d’un nouveau fonds spécifique dans ces plans ?
  • On parle ici de transition énergétique, mais l’ISR c’est aussi du « social ». Les fonds qui promeuvent la politique sociale des entreprises seront-ils éligibles ?

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