Conséquences d’une réforme des retraites sur la prévoyance

Serait-ce reparti pour un tour ?

Lors du précédent quinquennat, le Président Emmanuel Macron proposait une réforme d’envergure pour la mise en place progressive d’un système universel de retraite. Cette réforme, abandonnée suite à de vives oppositions et à la survenance de la crise sanitaire de 2020, avait pour objectif une refonte profonde systémique et non paramétrique de l’ensemble des régimes obligatoires.

Pour le quinquennat 2022-2027, le sujet de la réforme des retraites est remis sur la table, avec cette fois-ci une approche paramétrique visant à assurer les équilibres techniques des régimes de retraite obligatoire sur un horizon de moyen / long terme.

Cette approche semble similaire à certains points des précédentes reformes menées à bien par des gouvernements antérieurs qui avaient pour objet de repousser l’âge de départ en retraite (trimestres exigibles, âge minimum).

Les impacts sur le marché de la Prévoyance avaient alors été profonds et couteux pour les entreprises souscriptrices et les organismes assureurs.

Pour comprendre et anticiper les potentiels impacts de la réforme à venir, il n’est pas inutile de se replonger dans les faits de l’époque et de revenir sur les conclusions identifiées.

Réformes des retraites de 2010 (« Fillon ») et 2014 (« Touraine ») : des impacts significatifs sur la Prévoyance

Ces réformes, certes d’ampleur, restaient paramétriques : la « réforme Fillon » de 2010 a reculé d’une part l’âge de départ à la retraite (de 60 ans à 62 ans), et d’autre part l’âge permettant de bénéficier du taux plein pour les personnes ne justifiant pas des trimestres requis[1] (de 65 ans à 67 ans).

La réforme la plus impactante, la « loi Fillon », a été mise en œuvre progressivement pour les générations 1951 à 1955. Son impact pour les organismes assureurs a été d’autant plus important que les générations de 1956 et suivantes représentaient alors environ 75% des assurés en arrêt de travail.

Les incidences sur les risques Prévoyance étaient bien identifiés :

  • Risque Incapacité : le recul progressif de l’âge d’obtention du taux plein, de 65 à 67 ans, impose aux organismes assureurs le versement des Indemnités Journalières complémentaires pour un salarié en arrêt de travail pouvant aller jusqu’à 67 ans,
  • Risque Invalidité : les prestations continueront d’être servies au-delà de 60 ans selon le même calendrier que l’âge minimal requis pour pouvoir liquider sa retraite à taux plein. La période de versement des rentes d’invalidité complémentaires se voit ainsi prolongée d’une durée maximale de 2 ans.

Face à ces constats, les impacts à quantifier par les assureurs étaient alors significatifs et concernaient 2 éléments distincts : le stock des arrêts en cours de versement d’une indemnisation, et le flux des futurs arrêts à indemniser.

  • Pour le stock, les durées de versement allongées ont généré un surplus de provisions mathématiques (l’estimation actuelle du coût des prestations futures à verser) de +15% à +20% en moyenne. La problématique essentielle des assureurs était alors de financer cet impact, ce qui a pu être réalisé via un étalement possible par 1/5e de 2011 à 2016. Dans certains cas (entreprises ayant résilié leurs contrats avant la réforme), le surcoût a été intégralement supporté par les assureurs,
  • Pour les arrêts à venir (flux), la hausse attendue de l’incidence et de la durée probables des sinistres s’est répercutée sur les primes, qui ont augmenté de +5% à +10%.

Cette réforme a également engendré une problématique pratique et de marché pour les assureurs, notamment à cause du manque de concertations avec le législateur. En effet, en cas de résiliation du contrat en cours d’étalement, l’assureur se doit de payer les prestations futures dont le surcoût n’est pas encore totalement financé au moment de la résiliation. Ainsi, une indemnité pour les souscripteurs voire des transferts de provisions avec le nouvel assureur ont pu être prévus, malgré les coûts et difficultés techniques et de gestion associés à ces pratiques.

Fort de ces difficultés passées, il semble que des concertations ont été engagées par les pouvoirs publics avec les 3 fédérations d’organismes assureurs pour examiner les conséquences possibles d’une mesure de relèvement d’âge dans une nouvelle réforme.

D’un point de vue technique et actuariel, les tables du BCAC pour le maintien en arrêt ont été rallongées de 2 ans afin de s’ajuster au passage de l’âge légal de départ à la retraite de 60 ans à 62 ans.

En 2013 les tables du BCAC ont été mises à jour en prenant en compte la réforme de 2010, mais n’ont pas été homologuées par le législateur à ce jour. Pour pouvoir néanmoins les utiliser, certains assureurs les ont intégrées à leurs pratiques voire ont construit des tables d’expérience adaptées à leur propre sinistralité.

Quant à elle, la « réforme Touraine » de 2014 a augmenté le nombre de trimestres requis pour partir à la retraite à taux plein, sans impact aussi fort sur les régimes de prévoyance.

Pour le quinquennat qui débute, à quoi s’attendre ?

Tout d’abord, à ce jour, il reste difficile d’y voir clair tant que les discussions et travaux n’auront pas réellement débuté. Néanmoins, la prochaine réforme des retraites s’inscrirait dans un principe de recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 voire 65 ans. En pratique, cette réforme serait appliquée en relevant progressivement la durée de cotisation de 4 mois par an selon le principe générationnel et progressif applicable à toute évolution du système de retraite.

L’impact d’une telle réforme dépendra en partie du contexte économique et social dans lequel il s’inscrit. En effet, si l’allongement de l’espérance de vie est parfois mis en avant pour justifier la réforme, l’espérance de vie en bonne santé est globalement stable : elle s’élève à 64 ans environ pour les femmes et 63 ans environ pour les hommes. Cela signifie que la probabilité d’avoir une affection chronique est en hausse après 62 ans, soit en partie durant la fin de carrière des actifs, ce qui peut se traduire par un coût supplémentaire pour les régimes complémentaires.

Par ailleurs, l’absentéisme des actifs s’établit depuis quelques années à un niveau soutenu, avec notamment une hausse des arrêts longs. Cela implique depuis quelques années une augmentation de la sinistralité pour les assureurs.

Concernant le COVID-19, il est difficile à ce jour de prédire l‘existence de prochaines vagues épidémiques et donc de leurs incidences sanitaires et économiques, et d’estimer les impacts et coûts sur la santé des personnes qui ont pu être affectées.

A quels impacts s’attendre sur la Prévoyance et pour le marché de l’assurance complémentaire ?

Si cette réforme venait à être adoptée, les acteurs de l’assurance souhaiteraient avoir plus de poids dans les réflexions et sa mise en place pratique. Les points à trancher seraient alors nombreux et structurants : quels impacts comptables et financiers, quels étalements, quelles communications tenir, etc.

Plus globalement, différents éléments pourraient alors être actualisés, pour tenir compte des connaissances du risque tels que nous l’observons aujourd’hui. Ces mises à jour pourraient-elles aussi, générer des impacts. Il pourrait ainsi être cité :

  • Les tables du BCAC: seront-elles intégralement mises à jour ou seulement prolongées aux âges plus élevés, sachant qu’elles ont maintenant environ 20 ans d’âge et que le risque prévoyance et la population française ont évolué depuis ?
  • Les définitions des catégories d’invalidité: seront-elles mises à jour, sachant qu’elles ont été établies il y a un demi-siècle environ, et que certaines définitions semblent dorénavant obsolètes ? En effet, de nos jours certains invalides de 2e catégorie, qui ne peuvent pas travailler selon la définition retenue par la Sécurité sociale, travaillent en pratique grâce à des adaptations de postes ou de temps de travail.
  • Les taux: vont-ils continuer à augmenter significativement (passage de 0% à 1,5% en quelques semaines pour les taux à 10 ans) ? Une hausse mesurée des taux serait une bonne nouvelle en prévoyance car elle permettrait de dégager des ressources pour financer une partie de la réforme des retraites. A condition que l’inflation reste maîtrisée sans quoi des tensions pourraient apparaître sur les revalorisations des rentes, annihilant les marges liées à une hausse des taux.

Sauf que cette fois-ci, il y a un « mais » !

Mais contrairement à la réforme de 2010 et forts des leçons qui en ont été tirées, concernant l’estimation et le pilotage de ces impacts, les assureurs disposent aujourd’hui d’outils (DSN, Prest’IJ) et de techniques qui permettent d’analyser, voire de prédire, certains de ces impacts.

A un niveau plus général et national, il sera également intéressant de suivre les impacts d’une réforme des retraites sur le régime du chômage, et sur le coût des indemnités journalières et pensions d’invalidité de la Sécurité sociale.

Pour le seul marché de la prévoyance complémentaire, il sera nécessaire de suivre également la proportion de 60-65 ans en activité, la précédente réforme ayant mécaniquement augmenté ce ratio pour les 55-60 ans.

A suivre donc ces prochains mois, notamment en fonction du contexte politique et social.

Outre les mesures portant sur l’âge légal, la poursuite des carrières longues et l’éventuelle prise en compte de la pénibilité ne manqueront pas de fournir les échanges, et les études d’impacts !

[1] Dit « âge d’annulation de la décote »

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