Comme chaque année, le COR[1] a publié son très attendu rapport[2] visant à analyser les évolutions et les perspectives du système de retraite national. Dans ce rapport, des projections sur l’avenir du système de retraite français à horizon 2070 ont été réalisées selon différentes hypothèses démographiques et économiques. Les résultats de ces projections montrent que, malgré une année 2020 très déficitaire, la part des dépenses de retraite dans le PIB resterait sur une « trajectoire maîtrisée » à horizon 2070. Néanmoins, cette trajectoire maîtrisée se ferait au prix d’une évolution importante du niveau de vie relatif des retraités.
I- Les hypothèses retenues
- Démographie :
Afin de choisir les hypothèses d’espérance de vie, de fécondité et de solde migratoire, le COR s’appuie sur les projections 2013-2070 de l’INSEE[3]. Pour les 2 premières, et pour la première fois, le COR a retenu les hypothèses basses, c’est-à-dire une fécondité de 1,8 à partir de 2020 (contre 1,95 à partir de 2016 auparavant) et une diminution des gains d’espérance de vie escomptés, tout spécialement pour les femmes.[4]. Ces 2 hypothèses ont un impact qui se compensent à horizon 2070 mais il est intéressant de souligner qu’une évolution de l’espérance de vie a un effet à plus court terme qu’un ralentissement de la fécondité.
Il est retenu une hypothèse de solde migratoire annuel de + 70 000 personnes sur l’horizon de projection.
- Economie :
Les hypothèses économiques à court terme correspondent aux prévisions de croissance du PIB sur les sept prochaines années. Le COR se base sur les données du programme de stabilité 2021 (PSTAB) qui prévoit une croissance de 5% en 2021 qui décroitrait progressivement jusqu’à 1,4% dès 2025.
Ces prévisions de croissance à court terme restent bien sûr très sensibles à l’évolution de la situation sanitaire et à l’ampleur du rebond économique.
A long terme, le COR a réalisé les projections des ressources à horizon 2070 selon les hypothèses économiques suivantes :
Selon le scénario de gain de productivité horaire du travail de long terme[5] choisi (1%, 1,3%, 1,5% ou 1,8%), le résultat obtenu sera susceptible de varier significativement. Les scénarii de gain de productivité sont jugés volontaristes par certains observateurs et feront l’objet d’un réexamen. C’est pour cette raison que le COR a engagé un processus de réflexion et de discussion autour de ces scénarios qui devrait aboutir à la création de scénarios « critiques » dans une approche prudentielle.
Le taux de chômage, fixé à 7%, est lui aussi challengé (écart allant de 4,5% à 10%) mais uniquement pour le scénario de croissance à 1,3%. L’impact d’une évolution du taux de chômage semble mesuré puisqu’un taux de chômage à 10% ferait augmenter la part des dépenses de 0,3 point de PIB. Il pourrait être envisagé dans les projections de choisir un taux de chômage variable selon les périodes.
- Conventions comptables[6] :
Les hypothèses retenues relatives à la fonction publique sont déterminantes pour projeter les ressources du système de retraite puisqu’elles permettent de définir le niveau de la participation de l’Etat au financement du régime de retraite national. Les régimes des pensions civiles et militaires et certains régimes spéciaux bénéficiant d’une contribution annuelle de l’Etat (fonction publique, SNCF, RATP, mines, marins, ouvriers de l’Etat) sont par construction « équilibrés ». Ces régimes fonctionnent selon une logique de prestation définie à l’inverse de la plupart des grands régimes obligatoires.
La difficulté méthodologique rencontrée est de déterminer l’évolution de la contribution de l’Etat employeur sur l’horizon de projection.
L’enjeu de modélisation est important puisque ces régimes présentent un montant de prestations représentant une part de plus de 25% du budget retraite de notre pays.
Pour mémoire, le COR a retenu trois conventions comptables :
- EEC (Effort de l’Etat Constant) : stabilisation des contributions et subventions d’équilibre en proportion du PIB à leur niveau de 2020.
- TCC (Taux de Cotisation Constant) : consiste à figer le taux de cotisation et de subvention d’équilibre de ces régimes à leur niveau de 2020.
- EPR (Equilibre Permanent des Régimes) : équilibrage des comptes année après année.
II. Les résultats : observations et projections des flux du système de retraite
- Les dépenses du système de retraite
Compte tenu des incertitudes d’hypothèses liées aux scénarios économiques et aux conventions concernant les régimes publics financés par l’Etat, le COR considère qu’il vaut mieux suivre le poids des dépenses de retraite en parts de PIB, (pour mémoire, 0,1 point pour 2,1 Md euros) plutôt qu’en milliards d’euros.
Pour cette année, les dépenses du système de retraite augmentent fortement en proportion du PIB : 14,7% en 2020 contre 13,6% l’année dernière. Cette forte hausse est liée à la contraction de l’activité économique (baisse du PIB de 7,9% en volume), tandis que les dépenses de pensions sont restées relativement insensibles à la conjoncture. La diminution du nombre de retraités liée à la surmortalité joue de façon très marginale sur les résultats.
La part des dépenses du système de retraite en proportion du PIB pour l’année 2020 présentée dans le rapport du COR est toutefois plus faible que celle projetée dans le rapport de novembre 2020 compte tenu de la contraction plus limitée que prévu de l’activité économique.
Ce niveau de dépenses (en % du PIB) viendrait à rejoindre son niveau d’avant crise autour de 2030 et à baisser à l’horizon 2070 quels que soient les scénarios de projections illustrant le fait qu’une à 2 années très déficitaires n’impactent pas durablement l’avenir du régime. On atteindrait ainsi en 2070 une proportion située entre 11,3% du PIB (scénario 1,8%) et 13,0% (scénario 1%).
Le graphique suivant illustre ces trajectoires.
Malgré la diminution du ratio démographique[7] qui passerait de 1,7 en 2019 à 1,3 en 2070, on peut expliquer cette baisse des dépenses à long terme par le recul de l’âge moyen de départ à la retraite, conséquence du « calendrier Touraine » d’allongement des durées d’assurance cotisées en vigueur nécessaires pour l’obtention du taux plein au régime de base. Ainsi, l’âge de départ à la retraite passerait de 62,2 ans en 2019 à près de 64 ans d’ici la fin des années 2030.
De plus, la pension moyenne par rapport aux revenus d’activité diminuerait au cours des 50 prochaines années. En effet, en 2070, la pension moyenne relative au revenu d’activité brut moyen se situerait entre 31,6% (scénario 1,8%) et 36,5% (scénario 1%) contre 52,2% aujourd’hui. Dans un sens inverse, les pensions nettes moyennes des retraités augmenteraient de 21% (scénario 1%) à 44% (scénario 1,8%) en euros constants, les nouveaux retraités ayant, notamment, des carrières plus complètes (travail des femmes notamment) que leurs ainés et les retraites étant indexées sur les prix à la consommation. Dans le même temps, le revenu net d’activité moyen augmenterait de 67% (scénario 1%) à 131% (scénario 1,8%).
- Les ressources du système de retraite
Avec le fort recul de l’activité économique lié à la crise sanitaire, les ressources se sont contractées (baisse de 3% en termes réels par rapport à 2019). Les ressources du régime dépendant du montant des contributions et subventions de l’Etat, les projections sont donc réalisées selon les 3 conventions comptables concernant les régimes spéciaux décrites précédemment :
- Dans le scénario « effort de l’Etat constant » (convention EEC), une baisse légère des ressources dans le PIB est observée dans la première partie de projection (2025-2030) jusqu’à se stabiliser autour de 13,5% au-delà pour représenter in fine moins de 13% du PIB.
- Dans le scénario « taux de cotisation constant » (convention TTC), une diminution nette de la part des ressources serait observée jusqu’à la fin des années 2050.
- Dans le scénario « équilibre permanent des régimes », les ressources chuteraient sur toute la durée de la projection s’établissant entre 12% et 12,4% pour l’année 2070.
- Le solde financier du système de retraite
Les projections des soldes financiers à horizon 2070 ont été réalisées selon les hypothèses économiques et les trois conventions comptables décrites précédemment, dont on a vu le caractère très structurant.
Notons d’emblée que quelles que soient la convention et l’hypothèse de croissance long terme utilisées, il y a aucun scénario qui mène à un retour à l’équilibre d’ici 2030.
Pour être plus précis, on relève que :
- Pour la convention EEC : un retour progressif à l’équilibre est constaté dans les années 2030 (sauf pour le scénario 1% qui l’établirait à la fin des années 2040). En 2070, l’excédent se situerait entre 0,5% (scénario 1%) et 2,1% (scénario 1,8%) du PIB. Cette convention obtient les excédents les plus conséquents, contrepartie mécanique d’une contribution financière de l’Etat plus importante.
- Pour la convention TCC : l’équilibre serait retrouvé aux alentours de 2045 (sauf pour les scénarios 1% et 1,3%). La baisse des dépenses sur le long terme permettant d’obtenir des excédents compris entre 0,5% et 1,4% en 2070, mais aussi des déficits (-0,1%) pour le scénario le plus défavorable.
- Pour la convention EPR : la trajectoire est proche de celle de la convention TCC jusqu’à 2030, mais la situation se dégrade par la suite, avec seulement 2 scénarii dégageant un excédent en 2070, et un niveau quasi identique à 2020 pour le scénario 1%. Le solde varierait donc entre -0,6% et 0,8% du PIB.
- Le niveau de vie des retraités
Depuis le milieu des années 90, le niveau de vie des retraités était sensiblement équivalent à celui des actifs. A partir de 2018 (en mettant de côté la parenthèse 2020), la baisse du niveau de vie des retraités serait continue, celui-ci devenant inférieur à celui des actifs dès 2024 pour atteindre entre 77,2% et 86% en 2070. Ce décrochage s’explique par l’indexation des pensions de retraite sur les prix à la consommation, et non sur les salaires.
Le graphique suivant présente les évolutions du niveau de vie des retraités par rapport à celui des actifs :
Attention, Le COR appelle l’attention sur le fait que les projections présentées ici n’intègrent pas d’éventuelles modifications des comportements induites par la baisse relative des pensions. En effet, considérant que le montant de leur future pension est insuffisant, les assurés pourraient réagir en épargnant davantage en vue de la retraite pendant la vie active ou en reportant leur âge de départ à la retraite.
Conclusion
La contraction de l’économie au cours de l’année 2020 a été plus faible qu’estimée. Ainsi, le déficit du solde du système de retraite, égal à 0,8% du PIB, bien que considérable, se révèle moins dégradé que dans les estimations.
Ce rapport du COR montre cependant la relative fragilité du régime de retraite à court terme. En effet, à horizon 2030, la part des dépenses consacrée au système de retraite reste proche des 14% et les soldes financiers restent négatifs quelles que soient les conventions utilisées pour la contribution de l’Etat au financement des régimes spéciaux. En revanche, à horizon 2070, la part des dépenses de retraite dans le PIB resterait sur une « trajectoire maîtrisée » et diminuerait jusqu’à 11,3% dans les scénarios économiques les plus favorables.
Néanmoins, cette baisse de la part des dépenses se ferait au détriment du niveau de vie à la retraite qui serait d’autant plus détérioré que la croissance serait forte. On peut toutefois imaginer que si la croissance était forte, une redistribution se ferait en direction des retraités (indexation de leur pension par référence aux salaires et non sur l’inflation, par exemple) afin de ne pas les laisser à l’écart d’une économie dynamique.
Enfin, les résultats des projections sont très sensibles aux scénarios économiques ainsi qu’aux conventions utilisées pour la contribution de l’Etat au financement de certains régimes.
En dépit des incertitudes qui caractérisent un exercice de projections, il est intéressant de constater qu’elles permettent de cadrer le devenir de notre système de retraite et de mettre en évidence les décisions politiques qui devront être prises dans les prochaines décennies.
[1] Conseil d’orientation des retraites
[2] https://www.cor-retraites.fr/node/545
[3] Institut national de la statistique et des études économiques
[4] A l’horizon 2070, cette hypothèse conduirait à une espérance de vie instantanée à 65 ans de 26,5 ans pour les femmes et 24,2 ans pour les hommes.
[5] Il s’agit de la valeur ajoutée moyenne créée par une heure de travail
[6] Voir notre article sur le précédent rapport du COR pour plus d’informations concernant ces normes comptables https://www.galea-associes.eu/2020/12/rapport-du-cor-impacts-de-la-crise-sanitaire-sur-lequilibre-des-comptes-du-systeme-de-retraite/
[7] Rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités