Depuis le 1er janvier 2016, les entreprises d’assurance et de réassurance ont mis en place en leur sein un système de gouvernance répondant aux exigences de la directive Solvabilité 2, intégrant notamment 4 fonctions clés : gestion des risques, conformité, audit interne et fonction actuarielle.
Les rôles et les responsabilités de la fonction actuarielle sont précisés à l’article 48 de la Directive 2009/138/CE et à l’article 272 du règlement délégué 2015/35 et intègrent notamment :
- La vérification de la bonne évaluation des provisions techniques : coordination du calcul, analyse du caractère approprié des méthodes, modèles et hypothèses, analyse de la suffisance et de la qualité des données,
- L’émission d’un avis sur la politique globale de souscription (dont un avis sur la suffisance des primes pour couvrir les sinistres et frais, le risque d’antisélection, le risque d’inflation et le risque légal),
- L’émission d’un avis sur la politique globale de réassurance,
- La contribution à la mise en œuvre effective du système de gestion des risques,
- La communication à l’organe d’administration, de gestion ou de contrôle (AMSB).
Le tenant de la fonction actuarielle informe l’AMSB des risques pris par l’organisme d’assurance et rédige un rapport actuariel à sa destination. Pour mémoire, ce rapport n’est pas envoyé automatiquement à l’ACPR, mais celle-ci peut le demander.
L’Association Actuarielle Européenne (AAE) encourage les actuaires à appliquer les orientations (guidance) émises dans l’European Standard of Actuarial Practice 2 (ESAP 2) sur le contenu du rapport actuariel, dont le plan type est repris ci-dessous :
- Introduction générale
- Provisions techniques
- Politique de souscription
- Réassurance
- Gestion des risques
Le responsable de la fonction actuarielle ne doit pas se contenter de formuler des remarques ou réserves éventuelles. Il doit en effet suivre les recommandations qu’il a formulées et justifier de la réalisation du plan d’actions correspondant.
Au sein des groupes d’assurance, la fonction actuarielle doit être déployée à deux niveaux : celui des entités solos et celui du groupe.
L’interaction entre ces deux niveaux est complexe à mettre en œuvre, et plusieurs modèles peuvent être envisagés :
- Autonomie des fonctions actuarielles solos et remontée des travaux à la fonction actuarielle Groupe ;
- Application par les fonctions actuarielles solos de normes Groupe et consolidation des travaux par la fonction actuarielle Groupe ;
- Fonction actuarielle Groupe autonome ;
- Centralisation complète par le groupe.
Autonomie des fonctions actuarielles solos et remontée des travaux à la fonction Groupe
Dans cette configuration, les fonctions solos ont une autonomie forte et rédigent chacune un rapport actuariel. Le responsable de la fonction actuarielle Groupe reçoit chaque rapport solo et réalise un travail d’analyse, d’homogénéisation et de consolidation en vue de la formalisation de son propre rapport Groupe.
Cette configuration permet un double regard sur les travaux (« principe des 4 yeux » par le responsable solo puis le responsable Groupe) qui vient challenger les études réalisées dans les entités solos. Elle permet également, dans un groupe pour lequel les activités d’assurance sont multiples (IARD, Epargne, santé, prévoyance etc.), de disposer de fonctions actuarielles solos expertes sur leurs marchés respectifs. Cependant, elle peut s’avérer coûteuse en termes de temps, plus particulièrement pour la fonction actuarielle Groupe, du fait de l’hétérogénéité des rapports solos à consolider. Elle peut également dans certains cas engendrer divers allers-retours entre une fonction solo et la fonction groupe tant sur la compréhension des éléments transmis que sur l’absence d’informations remises mais nécessaires aux travaux groupe.
Mise en place de normes Groupe au niveau solo et consolidation par la fonction actuarielle Groupe
Ce cas de figure se rapproche du cas évoqué ci-dessus à la différence que dans cette configuration la fonction actuarielle Groupe impose aux fonctions actuarielles solos des normes de travail (méthodes, sensibilités, analyses, etc.) et/ou de restitution, lui permettant de consolider les travaux plus aisément et d’avoir la certitude que tous les aspects qu’elle souhaite étudier seront traités au niveau solo.
Si cette pratique semble plus efficiente pour les grands groupes, elle peut toutefois engendrer une perte de souplesse voire des problèmes d’indépendance des fonctions actuarielles solos si le cadre imposé par la fonction Groupe est trop rigide.
En effet, selon l’article du règlement délégué 2015/35 de la commission Européenne du 10 octobre 2014 : « Les entreprises d’assurance et de réassurance intègrent à leur structure organisationnelle les fonctions et les lignes de reporting qui leur sont liées d’une manière qui garantisse que chaque fonction est exempte d’influences pouvant compromettre sa capacité à s’acquitter de façon objective, loyale et indépendante des tâches qui lui incombent. Chaque fonction opère sous la responsabilité ultime de l’organe d’administration, de gestion ou de contrôle, auquel elle rend compte, et, s’il y a lieu, coopère avec les autres fonctions dans l’exercice de leurs rôles respectifs. »
Dans cette configuration, la fonction actuarielle groupe doit être vigilante et s’assurer que le cadre normatif qu’elle souhaite voir appliquer au niveau solo est adapté aux différentes garanties et marché couverts par les entités. La pertinence des méthodes ou des sensibilités à tester dépend en effet fortement du type de couverture d’assurance. Pour la réussite et la fluidité des échanges, il est utile si ce n’est nécessaire de prévoir un partage des méthodes entre les différentes fonctions solos et groupe aussi bien en amont de la mise en place que de manière régulière.
Fonction actuarielle Groupe autonome
Certains Groupes font le choix de laisser une totale indépendance et autonomie aux entités du groupe. Les travaux des fonctions actuarielles solos et groupe sont ainsi complètement séparés.
Dans cette configuration, le responsable de la fonction actuarielle Groupe réalise de son côté l’ensemble des tâches qui lui incombent à partir de données consolidées ou non. Cela permet notamment de réaliser des analyses trans-entités, de laisser une indépendance totale à chaque responsable (solo ou Groupe). Ce fonctionnement ne peut être possible que si la fonction actuarielle Groupe a la pleine maîtrise des portefeuilles, garanties couvertes mais également des systèmes d’information lui permettant de réaliser ses travaux en totale autonomie. A défaut, le risque de mauvaise interprétation ou compréhension des informations étudiées pourrait porter préjudice aux travaux conduits par la fonction Groupe.
Si la fonction actuarielle réalise ses travaux de manière autonome sans solliciter les fonctions solos, il semble indispensable de prévoir une confrontation des résultats des analyses afin de s’assurer de leur cohérence.
Centralisation complète par le Groupe
Dans certains groupes, un modèle de centralisation unique et complète par le Groupe a été mis en place : le tenant de la fonction actuarielle Groupe est également tenant des fonctions actuarielles des différentes entités solos. Cette configuration permet une homogénéité des travaux entre les différentes entités. A noter cependant que ce schéma peut uniquement être mis en place avec l’accord de l’ACPR.
En conclusion, il n’y a pas de modèle unique. Le meilleur modèle à retenir pour un groupe est celui qui tiendra compte de la politique du groupe et de sa configuration (nombre et taille des filiales, position géographique des filiales, types de risques, systèmes d’information etc.) mais également de l’organisation opérationnelle et de sa répartition entre les différentes entités. Le principal enjeu est ainsi de bien maîtriser les avantages et inconvénients de la configuration retenue et de s’assurer qu’elle ne va pas à l’encontre des principes phares de la Directive Solvabilité 2 dont notamment l’honorabilité, la compétence et l’indépendance.