Accord National Interprofessionnel relatif aux retraites complémentaires AGIRC-ARRCO – Décryptage

Après plusieurs mois d’échanges entre les organisations syndicales et les représentants du patronat, un accord relatif aux retraites complémentaires ARRCO et AGIRC, visant à un rééquilibrage des régimes, a été validé le vendredi 30 octobre 2015.

Les mesures prises permettront ainsi aux caisses de retraite ARRCO et AGIRC de faire 6,1 Milliards € d’économies d’ici 2020. Certaines mesures sont applicables dès 2016, tandis que d’autres le seront à partir de 2019. Elles agissent sur tous les leviers possibles, « le niveau des pensions, le niveau des cotisations et les comportements de départ à la retraite », et préfigurent peut-être des évolutions à venir sur le régime de base.

1. Les principales mesures

A compter de 2016 :

  • Les premières mesures d’économie concernent la revalorisation de la valeur de service des points. Sa date est repoussée d’avril à novembre. Elle sera indexée entre 2016 et fin 2018 sur l’évolution des prix à la consommation hors tabac, diminuée de 1 point, avec un plancher à 0 %.
  • La revalorisation du salaire de référence (prix d’achat du point) sera décidée en novembre et prendra effet au 1er janvier de l’année suivante. Entre 2016 et fin 2018, cette revalorisation sera indexée en fonction de l’évolution du salaire moyen des cotisants majorée de 2% (avec un objectif de rendement brut effectif de l’ordre de 6%).
  • La cotisation AGFF, permettant de financer le service anticipé d’allocations sans abattement versées avant l’âge d’obtention du taux plein, s’appliquera également à la tranche C du salaire. Le taux de 2,2% actuellement appliqué à la tranche B sera étendu sur la tranche C (réparti dans les mêmes proportions entre employeur et employé). En contrepartie, les points acquis sur la tranche C à partir de 2016 ne subiront plus d’abattement.
  • La contribution exceptionnelle temporaire (CET) sera prorogée pour 3 ans au taux de 0,35%.
  • Une contribution aux régimes ARRCO et AGIRC, assise sur les montants versés lors des ruptures de contrats de travail, sera mise en place. Le taux et l’âge minimal des salariés concernés devront être précisés ultérieurement lors d’une négociation relative au régime d’assurance chômage.

A compter du 1er janvier 2019 :

Un régime de retraite complémentaire unifié sera mis en place (économies annuelles de gestion attendues de l’ordre de 300 millions d’euros d’ici fin 2022) avec une harmonisation des tranches de salaires (une première tranche jusqu’au plafond de la sécurité sociale et une seconde de 1 à 8 fois ce même plafond).

  • Un coefficient de solidarité, d’ores et déjà appelé « bonus-malus », est instauré (non applicable aux retraités exonérés de CSG, applicable de manière réduite aux retraités assujettis à la CSG au taux réduit).
  • Les futurs retraités, qui liquideront leurs droits à la retraite ARRCO et AGIRC dès l’atteinte du taux plein au régime général, verront diminuer leurs pensions aux caisses de retraite complémentaires de 10% pendant une durée de 3 ans dans la limite de 67 ans (pas d’abattement en cas de liquidation au-delà de 4 trimestres calendaires après l’âge d’obtention du taux plein).
  • En contrepartie de l’instauration du « coefficient de solidarité », les salariés qui liquideront leurs droits à la retraite ARRCO et AGIRC au-delà de 8 trimestres calendaires après l’âge d’obtention du taux plein, se verront attribuer un « coefficient majorant », qui augmentera le montant des pensions ARRCO et AGIRC. Ce coefficient oscillera entre 10% et 30% selon le nombre de trimestres travaillés au-delà de l’âge d’obtention du taux plein.
  • Ce dispositif de coefficient de solidarité ne remet pas en cause l’application de coefficients d’anticipation viagers en cas de liquidation de la retraite avant 67 ans sans le nombre de trimestres nécessaires au taux plein. Il est à noter que la question du cumul des coefficients de solidarité et d’anticipation viagers n’est pas clairement précisée dans l’accord.
  • La répartition des cotisations employeur-employé sera harmonisée sur toutes les tranches du salaire (60% employeur / 40% salarié). Pour ce faire, le taux de cotisation contractuel augmentera sur la seconde tranche de 0,56 point pour le salarié, le taux employeur restant inchangé (portant le taux contractuel de cotisation à 17% sur cette tranche).
  • Le taux d’appel fixé à 125% depuis 1995, augmentera à 127%.
  • La valeur de service du point sera revalorisée en fonction du taux d’évolution du salaire moyen des cotisants, éventuellement corrigé d’un facteur de soutenabilité.

2. Quelles conséquences pratiques de cet accord pour les entreprises ?

L’âge effectif de départ à la retraite peut se décaler dans le temps

Cet accord pourra entraîner un changement de comportement des salariés quant à leur date de départ en retraite (en décalant d’une année leur départ pour ne pas être impacté par le coefficient de solidarité).

Une réflexion des entreprises sur leur politique de gestion de fin de carrière doit s’engager. Différentes pistes peuvent être étudiées : le rachat de trimestres (qui pourrait permettre de liquider sa retraite avant 2019, date d’application du coefficient de solidarité) ou la prise en charge par l’employeur de la perte engendrée par l’application du coefficient de solidarité.

Tout changement de comportement sur l’âge de départ à la retraite impactera le calcul des engagements sociaux dans le cadre des normes IAS 19 ou françaises. Par exemple, les régimes d’indemnités de fin de carrière ou de pré-retraite pourraient être impactés si les bénéficiaires décalaient leur âge de départ.

Les régimes de retraite « chapeau » pourraient être amenés à compenser les baisses de niveau de pension

L’accord pourra également impacter l’évaluation des engagements des entreprises dans le cadre des régimes de retraite chapeau.

Généralement, les régimes de retraite chapeau garantissent un montant de rente sous déduction des régimes de retraite de base et complémentaires. La question de la prise en charge par l’employeur de la minoration de pension de retraite ARRCO et AGIRC due au coefficient de solidarité pendant 3 ans se posera et devra être étudiée au cas par cas sur la base de l’analyse du règlement du régime.

Une analyse juridique et/ou un amendement du règlement pourront s’avérer nécessaires pour lever toute incertitude.

Les engagements sociaux seront revus à la hausse sauf si le régime ne compense pas les baisses induites par le coefficient de solidarité.

3. Quelles conséquences pour les organismes assureurs ?

L’accord AGIRC ARRCO est susceptible de repousser l’âge effectif de départ en retraite des salariés. Cet allongement de la durée d’activité des salariés peut impacter l’équilibre des contrats santé et prévoyance collective des organismes assureurs.

Contrats santé

Le vieillissement de la population couverte risque de se poursuivre et de se traduire par une augmentation des prestations versées au titre des garanties santé. On considère généralement que la hausse des charges est de l’ordre de 1,5% à 2% par âge.

Les récentes évolutions réglementaires peuvent amplifier ce risque. En effet, la loi sur la Sécurisation de l’emploi prévoit un panier de soin minimum. Certaines garanties de ce panier, telles que la prise en charge intégrale du forfait hospitalier sans limite de durée, peuvent générer des montants de prestations importants dans une population sous risque vieillissante.

  • Tarification : vers une hausse des cotisations ?

Sur les offres sur-mesure, la tarification des contrats santé collectif repose le plus souvent sur l’étude de la sinistralité observée sur les salariés de l’entreprise. L’augmentation des prestations versées peut donc amener les organismes assureurs à indexer le niveau de cotisations des contrats afin de pallier cette hausse de la sinistralité.

D’autre part, lorsqu’elles sont disponibles, des données démographiques telles que l’âge moyen sont utilisées comme variables discriminantes pour la tarification. Le vieillissement de la population sous risque devrait augmenter les tarifs proposés par les organismes assureurs.

L’impact de l’accord sur le tarif des contrats santé collectifs doit toutefois être nuancé au regard d’un contexte concurrentiel important. Les nombreuses évolutions réglementaires ont amené les organismes assureurs à revoir la structure et le tarif de leurs offres santé collective. L’impact de l’accord AGIRC ARRCO sur les tarifs des contrats santé collectifs pourrait donc être limité dans un cadre législatif renforçant la concurrence entre les organismes assureurs.

Par ailleurs, l’article 4 de la loi Evin indique que l’organisme assureur doit organiser les modalités de maintien des garanties pour les salariés qui partent en retraite. Le tarif proposé aux nouveaux retraités est limité à 150% du tarif appliqué aux salariés toujours en activité. Actuellement, un projet de décret encadrant davantage ce plafond est en cours d’étude : le gouvernement souhaite que la limite du tarif des retraités ne soit applicable qu’après 3 ans. Dans un contexte de vieillissement de la population active, la limite de 150% s’appliquerait alors à un tarif pour les actifs en augmentation.

Contrats prévoyance

  • Une hausse de la sinistralité attendue

Le vieillissement de la population sous risque peut impacter le nombre de sinistres sur les contrats prévoyant une garantie décès. A titre indicatif, le taux de mortalité passe de 1,3% à 62 ans à 2,0% à 67 ans, soit une hausse de 53% (source : table de mortalité TH 00-02 décès). Les organismes assureurs peuvent donc être amenés à majorer le tarif des contrats décès afin de tenir compte du vieillissement de la population couverte.

En incapacité, une hausse de l’incidence due à l’allongement de la période d’activité et au vieillissement de la population sous risque est attendue. La tarification des contrats de prévoyance collective repose généralement sur l’utilisation des tables d’incidence dites « du BCAC » ou de tables d’expérience. Des correctifs globaux liés à la démographie (âge, sexe, catégorie socio-professionnelle par exemple) et au contrat (franchise par exemple) sont ensuite appliqués. Le report de l’âge de départ en retraite pourrait impacter :

  • les tables d’incidence d’expérience qui seraient à actualiser. La volumétrie des plus de 60 ans augmentant, les taux d’incidence calculés pour ces âges devraient être plus robustes.
  • la durée moyenne des arrêts, généralement plus importante sur les salariés âgés.

En invalidité, aucun impact sur la durée de versement n’est attendu puisque les bénéficiaires d’une retraite du régime général pour inaptitude ou pour incapacité permanente dès 62 ans ne sont pas concernés par la réforme. En revanche, les taux de passage d’incapacité à invalidité ou d’entrée directe en invalidité augmentent avec l’âge. En ce sens, les entrées en invalidité peuvent progresser.

  • Impact sur le provisionnement

L’âge légal de départ en retraite n’étant pas modifié, l’impact sur le provisionnement des garanties incapacité et invalidité ne devrait pas être significatif.

L’accord AGIRC ARRCO pourrait donc augmenter la sinistralité observée sur les garanties santé collectives et sur certaines garanties des contrats de prévoyance collective. Ces impacts doivent toutefois être nuancés au regard du profil des assurés en portefeuille et de l’évolution réelle des comportements des salariés sur leur âge de départ en retraite. En tout état de cause, le vieillissement de la population active devrait être progressif. Un suivi fin des caractéristiques démographiques et de la sinistralité permettra d’anticiper cette dégradation et d’ajuster les tarifs au fur et à mesure.

Des opportunités à venir…

L’introduction de « coefficients de solidarité », diminuant les rentes AGIRC ARRCO pendant 3 ans maximum, offre la possibilité aux organismes assureurs de proposer des produits de compensation de cette diminution, si certaines entreprises le souhaitent, ou d’adapter la structure des rentes versées par les régimes de retraite supplémentaire à cotisations définies (tels que les contrats « article 83 ») en privilégiant par exemple des rentes plus élevées au cours des 3 premières années suivant la liquidation des rentes.

Par ailleurs, une attention particulière méritera d’être portée aux négociations à venir sur la réforme du statut cadre, prévue à l’article 8 de l’accord du 30 octobre 2015. Il est en effet prévu une mise à plat des obligations conventionnelles de 1947 sur la couverture décès minimale à garantir aux Cadres (cotisation « 1,5% tranche A »), et éventuellement l’utilisation de cette cotisation à d’autres fins.

Les accords AGIRC ARRCO impactent principalement les régimes de retraite, déjà touchés par l’entrée en vigueur de solvabilité 2. Le surcoût cumulé « réforme AGIRC ARRCO » et « entrée en vigueur de solvabilité 2 » va probablement accélérer les réflexions sur la création de structures dédiées à la retraite supplémentaire, telles que celles annoncées par E. Macron dans la future loi NOE, utilisant les dispositions spécifiques à la retraite supplémentaire professionnelle (« IORP »).

L’accord ANI du 30 octobre 2015 est riche en dispositions assurant un meilleur avenir aux régimes de retraite complémentaire. Il préfigure probablement d’autres réformes sur le régime de base d’une part et, si les taux demeurent bas, sur les régimes supplémentaires offerts par les organismes assureurs.

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