La crise sanitaire et économique sollicite comme jamais notre système de protection sociale. C’est à un défi considérable que l’ensemble des acteurs publics et privés sont confrontés. Faisant face à des enjeux financiers majeurs, les organismes ont dû travailler à une adaptation la plus prompte possible de leur organisation pour éviter toute rupture de service et se saisissent de l’opportunité que la crise représente pour réfléchir et contribuer à repenser leur fonctionnement en mettant en œuvre des solutions nouvelles et souvent irréversibles.
L’afterwork de GALEA du 15 décembre dernier a ainsi été placé sous le signe de la réflexion prospective et du débat. Au fil de questions posées à nos invités exceptionnels, Jean-Claude Barboul (Président de l’AGIRC-ARRCO) et Pierre Mayeur (Directeur Général de l’OCIRP) et grâce à des interventions de qualité de nos participants, l’évènement a été l’occasion de revenir sur la résilience dont les organismes de protection sociale et les organismes assureurs font actuellement preuve en réponse aux impacts de la crise.
Il s’agissait, dans les champs de la retraite (obligatoire et supplémentaire), de la santé/prévoyance et de la dépendance, d’étudier le rôle d’une protection sociale mise sous tension et de réfléchir aux perspectives d’amélioration de notre système.
Retrouvez les moments forts de cet évènement.
I- Les défis posés par la crise du covid-19 aux organismes de protection sociale et aux organismes assureurs : l’exemple de l’AGIRC-ARRCO et de l’OCIRP.
Les effets durables de la crise sanitaire et économique
Les organismes de protection sociale et les organismes assureurs font face à un choc de financement sans précédent – augmentation des dépenses et baisse des recettes – dont les répercussions se feront ressentir de manière très importante au moins au cours de l’année 2021. A titre d’illustration, le salaire moyen a diminué de 6% en 2020 impactant inévitablement à la baisse les cotisations dont il constitue l’assiette. Autre indicateur, selon les chiffres de la Banque de France, la croissance a diminué de 9% en 2020 et ne devrait être suivie d’un rebond qu’à hauteur de 5% en 2021, témoignant ainsi du caractère durable des effets de la crise.
Côté assurance complémentaire, on s’attend notamment à une explosion du coût de la portabilité des couvertures santé et prévoyance en 2021, causée par une vague de non-renouvellements de CDD, de licenciements collectifs ou encore de défaillances d’entreprises. Selon Pierre Mayeur « Nous allons apprendre en marchant », les entités devront faire preuve d’une grande capacité d’adaptation et de résilience. Côté organismes de protection sociale, Jean-Claude Barboul montre que l’exemple de l’AGIRC-ARRCO illustre bien ces enjeux : avec 6,5 milliards d’euros de déficit au 30 septembre 2020 majoritairement causé par le recours à l’activité partielle (chiffre avant le 2nd confinement), il a été décidé un report des négociations concernant la fixation des règles nouvelles que le contexte oblige à redéfinir s’agissant notamment de la revalorisation de la valeur d’acquisition et de service du point.
Repenser la protection sociale : une opportunité pour les branches professionnelles et les partenaires sociaux
La crise sanitaire a révélé au grand jour les limites du fonctionnement de notre système de protection sociale et notamment les difficiles relations financières entre l’Etat et la sécurité sociale qui ont ressurgi à l’occasion des réflexions autour de la dette « covid ».
« Cela peut être une opportunité pour les partenaires sociaux qui sont au plus près des réalités […]. Est-ce qu’elle sera saisie ? » s’interroge Pierre Mayeur. Jean-Claude Barboul partage l’idée selon laquelle les branches professionnelles présentent un atout considérable par la possibilité qu’elles offrent de définir une protection adaptée aux besoins et spécificités de leur secteur d’activité. Cette démarche fait sens quand on sait que les effets de la crise ont été très différents d’un secteur économique à un autre. L’adoption de 2 nouveaux ANI (télétravail et Services de Santé au Travail) est un signe prometteur pour l’avenir du dialogue social qui devra se décliner du niveau national vers les branches et les entreprises.
Quid de la solvabilité des acteurs de la protection sociale ?
La question se pose différemment pour l’assurance complémentaire et pour les organismes de protection sociale. Dans le premier cas, le chantier de la révision de la directive solvabilité 2 sera décisif. Si les règles prudentielles intègrent une meilleure prise en compte du contexte de taux bas, les effets en termes de solvabilité pourraient être très négatifs. Dans le second cas, en prenant l’exemple de l’AGIRC-ARRCO, les choix qui seront fait concernant la soutenabilité du régime seront déterminants. La gestion technique et financière de ce régime a été vertueuse et prudente. Cette situation financière saine s’explique par un pilotage « en temps réel » avec des négociations très régulières. Il faut rappeler que l’Accord du 17 novembre 2017 fondant le nouveau régime a instauré une règle de « Maastricht » imposant le maintien d’un niveau de réserve correspondant au moins à 50% des prestations à horizon 15 ans. Dans le contexte actuel, ce ratio n’est plus respecté. Des décisions difficiles devront être prises par les Partenaires sociaux dans le cadre du pilotage stratégique quant à un éventuel assouplissement de cette règle.
Les organismes assureurs, ainsi que les régimes et caisses de retraite, évoluent dans un environnement économique et financier chamboulé qui suppose des mesures d’adaptations à la fois résolues et prudentes. Il faut, pour la gouvernance, des outils de pilotage dynamiques et évolutifs permettant de suivre au plus près la situation et de définir, avec modestie mais méthode, les mesures qui paraissent les plus adaptées à la situation connue et anticipée. A plus long terme, les adaptations réglementaires sur les cadres techniques et financiers liées aux exigences de solvabilité doivent être suivies, analysées et leurs impacts chiffrés avec la plus grande attention.
II- Les perspectives pour la retraite obligatoire et supplémentaire
Remise en question de la réforme sur le système universel de retraite
Alors que la réforme des retraites obligatoires, visant à instaurer un Système Universel de Retraite (SUR), a dû être confinée au mois de mars, se pose aujourd’hui la question du maintien du principe même d’une réforme telle qu’elle était prévue initialement. Bien qu’une réforme pour rétablir l’équilibre des régimes de retraite obligatoires soit plus que jamais nécessaire, la récente affectation d’une fraction de la CSG à l’absorption de la dette sociale permet de gagner du temps mais laisse entière la question de l’équilibre pluriannuel. La réflexion pourra s’appuyer sur les travaux du COR (rapport annuel publié au mois de novembre) et les données plus politiques et sans doute prescriptives du Comité de Suivi des Retraites – qui devrait rendre son avis dans les tous prochains jours – pour éclairer la décision politique quant aux contours des mesures de nature à répondre aux enjeux financiers et sociaux dans un contexte post-crise. Indépendamment de la sensibilité d’une réforme paramétrique dans l’opinion publique, il apparaitrait difficile que des décisions structurantes puissent être prises dans un environnement économique qui ne soit pas stabilisé.
Pendant que des pans financiers de la réforme ont été mis entre parenthèses, des mesures ont été prises pour couvrir les enjeux d’information et de compréhension des régimes (qui figuraient également dans le projet de système universel). Nous assistons ainsi à une sorte de « réforme à bas bruit » nous dit Jean-Claude Barboul avec notamment le développement de la digitalisation de la gestion des demandes de retraite et de réversion et la mise en place d’un répertoire de carrière unique (RGCU) dans lequel l’ensemble des régimes obligatoires déposent leurs données, permettant une simplification du service pour les assurés, malgré la cohabitation des 42 régimes.
Le manque de visibilité : source de difficultés pour les acteurs de la retraite supplémentaire
La réforme de la retraite supplémentaire est engagée depuis mai 2019 par la loi PACTE qui offre de nouveaux produits à l’ensemble de la population. De nombreuses entreprises se sont emparées des possibilités offertes par la loi PACTE et ont mis en place des plans d’épargne retraite (PER). La mise en œuvre s’est poursuivie avec la parution de textes très attendus notamment sur la fin des régimes à prestations définies à droits aléatoires et, prochainement, sur les nouveaux régimes à droits certains. Toutefois, la différence de cadence entre la réforme des retraites obligatoires et celle des retraites supplémentaires est parfois regrettée par certaines grandes entreprises qui attendaient d’avoir une meilleure visibilité sur la future architecture des régimes de base et complémentaire pour réviser leur politique de retraite supplémentaire.
De nouvelles pistes pour la retraite supplémentaire
La baisse structurelle des taux de remplacement des régimes obligatoires renforce l’intérêt des dispositifs de retraite supplémentaire. La réforme des retraites, telle qu’elle était prévue initialement, aurait pu encourager leur souscription, surtout pour les plus hauts salaires avec le plafonnement envisagé de cotisations à 3 PASS (contre 8 PASS actuels au niveau de l’AGIRC-ARRCO). Cependant, réserver ces dispositifs aux plus hauts revenus peut constituer un obstacle à l’acceptabilité sociale de la retraite supplémentaire. Pourtant ses avantages sont nombreux, notamment « l’abondement de l’employeur à un dispositif collectif », précise Jean Claude Barboul.
Par ailleurs, la piste de l’instauration d’une cotisation minimale obligatoire à un dispositif de retraite supplémentaire pourrait être pertinente. A l’image du « 1,50% de la tranche A » en prévoyance collective prévu par l’AGIRC (et maintenu par l’ANI encadrement de janvier 2020), la généralisation pourrait démocratiser la retraite supplémentaire et lui permettre d’asseoir une véritable place à l’instar de nos voisins européens. Aujourd’hui la réforme de la retraite supplémentaire de la loi PACTE s’est adaptée aux exigences de simplification et de liberté (sortie en capital facilitée) des assurés. Demain, les préoccupations sociales et environnementales grandissantes de la nouvelle génération devront également être prises en compte par les concepteurs d’offres via, notamment, des investissements orientés vers la finance durable. Cela devra aussi s’accompagner d’évolutions des règles prudentielles qui, à l’heure actuelle, constituent des obstacles pour l’investissement socio/éco-responsable : les FRPS permettent notamment de répondre à cette problématique.
Si les incertitudes qui caractérisent la période actuelle ne permettent pas de préjuger de la réouverture prochaine du chantier « réforme des retraites », les tendances de fond sont bien connues : allongement de la durée d’activité professionnelle à plus ou moins brève échéance, posant avec acuité la question de la gestion des fins de carrières, et baisse progressive du taux de remplacement des régimes obligatoires…Pour anticiper et accompagner ces évolutions, les entreprises ont, dans le cadre de la retraite supplémentaire, les outils à leur disposition pour définir des couvertures et un accompagnement des salariés efficaces dans un cadre flexible et évolutif.
III- Le rôle des organismes complémentaires en santé/prévoyance
Suite à la fusion des régimes AGIRC-ARRCO, les régimes proposant des dispositions différentes pour les Cadres et Non Cadres demeuraient dans l’incertitude et avaient été gelés dans l’attente de dispositions concrètes sur la notion d’encadrement. L’année a donc commencé sur « une bonne nouvelle » : l’accord sur l’encadrement signé en début d’année (ANI de janvier 2020) a pérennisé le « 1,5% Tranche A » et levé les incertitudes.
En Prévoyance, les entreprises et leurs organismes assureurs pouvaient donc se concentrer sur un chantier d’ampleur : rétablir un équilibre sur des régimes dont les charges n’ont eu de cesse que d’augmenter depuis plusieurs années (baisse des taux, hausse de l’absentéisme).
Mais la crise sanitaire a exacerbé les difficultés en générant un redoutable effet en ciseau :
- Une baisse des ressources (cotisations non recouvrées sur les entreprises en difficulté, baisse d’assiette liée au recours massif à l’activité partielle),
- Et une augmentation des charges avec une nouvelle hausse des arrêts de travail, y compris les arrêts longs.
Les intervenants ont également souligné l’importance d’un phénomène « de fond » : le vieillissement de la population active sous l’effet des mesures d’allongement de la durée de cotisations à l’assurance vieillesse. Jean-Claude BARBOUL précise sur ce sujet qu’« en 15 ans, le taux d’activité entre 55-65 ans est passé de 35% à 55% ».
En santé, l’année 2020 devait également être une année charnière : la mise en place du dispositif « 100% Santé » devait permettre de conforter, ou ajuster, les impacts financiers estimés a priori. Les tous premiers mois semblaient indiquer un bon « démarrage » en Dentaire mais des retards sur les objectifs en Optique.
La crise sanitaire a moins impacté les ressources qu’en Prévoyance (cotisations majoritairement déconnectées des salaires) et elle a généré une baisse exceptionnelle des prestations, partiellement compensée par la taxe COVID prévue dans la LFSS pour 2021.
Jean-Claude BARBOUL et Pierre MAYEUR ont tenu à souligner le rôle prépondérant des organismes de protection sociale et des partenaires sociaux dans les mesures de soutien aux entreprises et aux salariés pendant cette période :
- Délais de paiement, voire des annulations de cotisations,
- Mise en place ou développement de mesures d’action sociale et de services spécifiques (téléconsultation, soutien scolaire…), parfois financés par les fonds issus du Degré Elevé de Solidarité dans les branches professionnelles.
Les observations de l’année 2020, de par leur caractère totalement atypique, entrainent ainsi des difficultés sur les prévisions d’arrêté des comptes et rendent difficile l’établissement de tendances fiables.
Au-delà, l’inflation législative des dernières années a généré des coûts et des difficultés supplémentaires : une hausse globale des prestations est attendue avec la mise en œuvre de 100% santé et les investissements pèsent sur les coûts de gestion (adaptation des systèmes aux dispositions 100% santé et aux nouvelles mesures de résiliation infra-annuelle, nécessité de développer de nouveaux services) alors que l’obligation d’affichage des frais met les coûts de gestion sous les projecteurs.
Et dans les prochains mois, les acteurs devront faire face à la hausse attendue du chômage et des défaillances d’entreprise qui pèseront lourdement sur les coûts de portabilité.
Dans cet environnement complexe et fortement concurrentiel, entreprises, branches professionnelles et organismes assureurs devront entamer en 2021 des réflexions de fond pour trouver les nouveaux leviers permettant de pérenniser les régimes tout en les adaptant à l’évolution des besoins des salariés
En 2021, une attention particulière devra être apportée à l’analyse des comptes de résultats 2020 sur lesquels pèsent de fortes incertitudes (des audits approfondis pourraient s’avérer nécessaires). La pérennisation des régimes devra passer par de nouveaux leviers de maîtrise de la sinistralité (pilotage prospectif, prévention, accompagnement dans la gestion des arrêts de travail) et être l’occasion de moderniser les couvertures pour les adapter aux nouveaux besoins des salariés (évolution des modes de vie, vieillissement, nouveaux risques). Les offres des organismes d’assurance, tant en matière de garanties que de services et de prévention mériteront d’être examinées avec un œil neuf.
IV- L’avenir de la couverture dépendance et les pistes de financement
La création d’une 5ème branche répond à une demande ancienne de nos concitoyens et intervient à un moment où l’actualité met cruellement en évidence la situation des plus âgés et la problématique de la perte d’autonomie. L’intervention de l’assurance peut se déployer sur 3 champs :
- La prévention avec le rôle des branches professionnelles et la prise en compte de la situation des aidants ;
- L’accompagnement personnalisé qui est l’un des besoins les plus importants pour s’assurer que la prise en charge du parent dépendant est optimale et adaptée à sa situation ;
- Et enfin le financement.
Le rapport Vachey qui complète le rapport Libault en explorant des pistes de financement pose aussi la question de la population cotisante. La dépendance a de particulier qu’il s’agit d’un risque aléatoire à la différence de la retraite qui constitue davantage un report de revenu dans le temps. Une cotisation dès l’âge de 25 ans ne serait pas forcément pertinente. Une autre piste, celle d’un prélèvement indolore sur l’héritage des parents affecté à la dépendance pourrait être envisagée. Enfin, une possible mise à contribution du 1,50% Tranche A pour les cadres pourrait être envisagée pour la fraction de cotisation non directement nécessaire à la couverture du risque décès.
En tout état de cause, la problématique de la prise en charge de la dépendance n’est pas que financière mais également professionnelle et sociologique. A ce titre, les branches professionnelles et les entreprises constituent un terrain d’expérimentation privilégié. Certaines entreprises ont par exemple d’ores et déjà intégré de premières couvertures dans des régimes Prévoyance, sous forme de services ou de prestations. Ces initiatives, qui répondent à une préoccupation de plus en plus prégnante des salariés devraient se développer.
Au travers de la création de la cinquième branche et de la crise sanitaire, la dépendance ressort désormais comme un risque à part entière dont chacun perçoit mieux la réalité.
La contribution des organismes assureurs apparait nécessaire pour participer à l’élaboration de couvertures innovantes et personnalisées sur le risque dépendance.
Une offre d’assurance doit émerger avec le souci d’une meilleure adaptation au projet de vie de la personne et d’une plus grande attractivité dès la souscription. La dimension prévention sera un élément central pour répondre à l’approche globale attendue.
Cette offre devra faire l’objet d’une co-construction avec l’entreprise pour laquelle la question de l’absentéisme peut se poser de façon aiguë pour les salariés aidants et avec les branches professionnelles dont on sait que les spécificités peuvent influer sur la survenance du risque.