Le sujet occupe le devant de la scène. Si tous, gouvernement, entreprises, syndicats, salariés veulent y parvenir, de nombreuses questions restent encore en suspens. Catherine Reichert, Vice-Présidente Communication du Comité ONU Femmes France (la représentation française de l’agence des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes) et Léonard Fontaine, Manager, Actuaire Data Scientist, du cabinet de conseil en gestion des risques GALEA , qui accompagne les entreprises dans leur diagnostic et la mise en place d’actions correctrices, échangent sur les enjeux et moyens d’une réelle égalité professionnelle.
- Comment définissez-vous l’égalité professionnelle ?
Catherine Reichert : L’égalité professionnelle est le fait de bénéficier, tous et toutes, à compétences égales, du même traitement et des mêmes chances d’accès à l’emploi, à la promotion et d’absence de différenciation en matière de rémunération et de déroulement de carrière. Une définition à laquelle s’ajoute le fait d’évoluer dans un environnement libre de sexisme et de toute forme de violences ou de discriminations.
Aujourd’hui, cette égalité est loin d’être une réalité. En France, une femme gagne en moyenne 25% de moins qu’un homme – 9% à poste de travail équivalent par an selon l’Insee (Chiffres de l’Insee). Au niveau mondial, pour chaque euro gagné par les hommes, les femmes gagnent 77 centimes. Une différence telle que l’on estime qu’à ce rythme, nous ne connaîtrons pas l’égalité salariale avant 2069.
Léonard Fontaine : D’un point de vue objectif et technique, l’égalité professionnelle c’est le fait pour les femmes et les hommes d’avoir les mêmes salaires et les mêmes avantages, à compétences et postes comparables.
Après une période d’incitation, le gouvernement s’engage aujourd’hui dans une logique de résultats.
Depuis la loi avenir professionnel de 2018, tous les employeurs de plus de 50 salariés doivent mettre en place un accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Dès 2019, ils auront l’obligation de publier les résultats d’un Index en 5 critères : écarts de rémunération, écarts de taux d’augmentations individuelles, écarts de taux de promotions, pourcentage de salariées ayant bénéficié d’une augmentation au retour de leur congé maternité et nombre de « salariés du sexe sous-représenté » parmi les 10 plus hautes rémunérations.
Les entreprises de plus de 1000 salariés devront s’y plier au 1er mars, celles de plus de 250 salariés au 1er septembre et celles de plus de 50 salariés au 1er mars 2020.
A la clé, des contrôles et interventions de l’inspection du travail renforcés et un délai de 3 ans pour corriger les écarts enregistrés.
Plus contraignant, des sanctions pouvant aller jusqu’à 1% de la masse salariale en cas de non correction…
- Peut-on faire de l’égalité professionnelle une réalité ?
Catherine Reichert : nous devons oeuvrer dans ce sens. Cela implique d’agir à différents niveaux : d’une part, sur les lois et les politiques publiques, d’autre part sur les stéréotypes et les mentalités. En France, dans le secondaire, les filles sont généralement meilleures en sciences. Elles sont majoritaires dans l’enseignement supérieur mais sont sous-représentées dans les formations scientifiques et technologiques – 28 % dans les écoles d’ingénieurs (chiffres 2016-2017). A l’international comme en France, la moitié de l’emploi des femmes se concentre dans 12 des 87 familles de métiers avec une sur-représentation des femmes dans les travaux à vocation sociale, autour du « care » [2]. Des métiers généralement moins valorisés socialement et aussi moins bien payés. En cause le poids des stéréotypes ainsi que le manque de rôles-modèles.
Dans le cadre des Objectifs de développement durable, afin de résorber la différence de salaire d’ici 2030, ONU Femmes travaille actuellement en partenariat avec l’OCDE et l’OIT sur l’Equal Pay International Coalition (EPIC), ou « Coalition internationale pour l’égalité salariale », de manière à ce que le principe de salaire égal pour travail de valeur égale, inscrit dans la constitution de l’OIT de 1919, devienne réalité.
L’égalité professionnelle passe par un travail des pouvoirs publics à travers à la mise en place d’outils de protection sociale, de services tels que des congés parentaux plus longs et mieux rémunérés, ainsi qu’au niveau des entreprises, en assurant un environnement de travail adapté à la vie familiale. Cela passe également par des mesures coercitives pour permettre aux femmes d’accéder aux plus hautes fonctions, comme dans les conseils d’administration, ou autour de la transparence sur les salaires.
ONU Femmes propose aux entreprises un outil permettant de mettre en place des mesures en faveur de l’égalité professionnelle : une charte sur les Principes d’autonomisation des femmes. A travers un engagement au plus haut niveau, les entreprises peuvent s’inspirer des meilleures pratiques et améliorer ainsi les conditions de travail et la performance de l’ensemble de leurs collaborateurs et collaboratrices.
De manière générale, toute la société gagne lorsque l’on progresse vers plus d’égalité : les femmes gagnent en indépendance, investissent davantage dans l’éducation et la santé de leurs enfants. Les organisations sont plus efficaces et gagnent en performance. Une recherche récente montre que réduire les inégalités au travail dans les 20 prochaines années représenterait un gain de 6 % du PIB dans les économies plus avancées [3].
L’égalité professionnelle est à la fois une question de droits et un enjeu stratégique et économique pour le développement des entreprises et du monde en général.
Léonard Fontaine : c’est assurément une question de droits, encore faut-il correctement mesurer les écarts qui subsistent avant d’y remédier.
Les critères de l’index constituent une règle unique pour toutes les entreprises, mais chacune a ses spécificités en termes de masse salariale et de métiers, et les résultats pourraient ne pas faire apparaitre certaines des inégalités.
En utilisant les techniques de Data Science, nous avons, chez GALEA & Associés, pu affiner ces évaluations pour mettre en lumière des écarts de rémunération statistiques et faire en sorte de les gommer selon un pilotage à déterminer par la Direction de l’entreprise.
Après un état des lieux de ce qui est pratiqué en matière de rémunérations dans l’entreprise et une analyse fine des données issues du Système d’Information RH -dans le respect du RGPD – les techniques de Data Science vont permettre d’identifier des catégories de femmes (ou d’hommes) pour lesquels des écarts apparaissent et nécessitent des explications des Directions des Ressources Humaines.
Leur rôle est crucial pour pouvoir retranscrire leurs connaissances métier et leur connaissance de la culture de l’entreprise dans l’interprétation des données.
Ensuite, le budget spécifique qui sera alloué par l’entreprise afin de gommer les inégalités avérées devra cibler efficacement des rattrapages. Enfin, la mise en place d’indicateurs pertinents permettra de suivre dans le temps les écarts de rémunération et de s’assurer qu’ils se réduisent grâce aux actions entreprises.
Il est particulièrement important de décomposer ces phases d’états des lieux, d’analyse, de pilotage et de corrections. Un processus complet et au moins annuel mérite d’être mis en place.
En effet, il est important que la Direction des Ressources Humaines appréhende ces différentes étapes afin de communiquer au mieux tant auprès de ses partenaires sociaux que de ses salariés, et également auprès des services RH chargés de la mise en œuvre opérationnelle.
Dans la lutte contre les inégalités professionnelles, notre rôle de techniciens data scientists consiste à aider les entreprises à les mesurer de la façon la plus précise et juste qui soit pour mieux les éradiquer.
- Avez-vous vu des évolutions en la matière ces dernières années ?
Catherine Reichert : Le mouvement #MeToo est un marqueur fort d’une prise de conscience de la part des femmes et des hommes de l’impact négatif du sexisme dans tous les champs de la société, y compris au travail. Nous vivons un momentum. La libération de la parole a permis de porter au devant de la scène des sujets souvent tabous qui sont le quotidien de nombre de femmes et de filles.
Un rapport du Conseil Supérieur de l’Egalité Professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) pointait en 2015 que 80 % des femmes sont régulièrement confrontées à des attitudes ou des décisions sexistes au travail, qui ont des effets négatifs sur leur sentiment d’efficacité [4].
Dans ce mouvement, il est nécessaire d’impliquer les hommes pour déconstruire les normes sociales négatives qui restreignent les choix et les opportunités de chacun et chacune. C’est tout l’objectif de la campagne HeForShe et de ses IMPACT et Thematic Champions dont le PDG de Danone, qui offre un congé parental de 18 semaines à ses collaborateur.rice.s dans plus de 130 pays.
C’est à travers ces actions que l’égalité femmes-hommes progresse, et avec elle l’ensemble de la société.
Léonard Fontaine: Galea, avec ses équipes de data scientists et des partenaires RH et Compensation & Benefits, a pu travailler pour de grands groupes internationaux (ou uniquement implantés en France) qui ont souhaité s’impliquer sur ce sujet. Les RH ont pris conscience de son importance politique. Que ce soit sur des filiales à l’étranger ou en France, les techniques de Data Science ont pu faire leurs preuves.
Nous avons noté ces deux dernières années une volonté des Ressources Humaines de pouvoir aborder la question de manière rationnelle : établissement d’un état des lieux, mise en place d’un plan d’action pour les années à venir, mesure de l’efficacité du plan d’action.
La mise en place de ces méthodes innovantes est très bien accueillie en interne, tant par les salariés que par les partenaires sociaux.
Force est de constater que ces sujets sont structurants pour la politique des ressources humaines. Ces travaux permettent souvent de déboucher sur d’autres travaux visant à identifier les causes des arrêts de travail et les plans d’actions de prévention à mettre en place pour diminuer l’absentéisme, tous ces éléments ayant bien sûr un impact sur la qualité de vie au travail.
A propos du Comité ONU Femmes France
Le Comité ONU Femmes France est l’association loi 1901 d’intérêt général qui représente ONU Femmes – l’agence des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes – en France depuis 2013. Il réunit des femmes et des hommes bénévoles, issus de différents secteurs d’activité (privé, associatif et institutionnel) qui s’engagent pour le plaidoyer et la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le Comité ONU Femmes France soutient les programmes de terrain d’ONU Femmes au plan mondial en mobilisant la générosité des donateurs et du grand public et en développant des partenariats avec des acteurs institutionnels, entrepreneuriaux et événementiels.
Pour en savoir plus : www.onufemmes.fr @ONUFemmesFR sur Twitter
A propos de Galea
Cabinet de conseil indépendant, nous accompagnons les entreprises et les organismes d’assurances dans la gestion de leurs risques et le suivi des régimes de protection sociale (Prévoyance, frais de santé, retraite et épargne salariale). Les travaux habituels couvrent 3 domaines : stratégie assurance, conseil actuariel et transformation numérique (application des méthodes de Data science pour le suivi de l’égalité Femmes/ Hommes, QVT, arrêts de travail, Fraude…). Notre cabinet compte 40 consultants et offre ainsi des solutions rigoureuses et innovantes adaptées aux enjeux actuels des métiers de l’assurance.
Pour en savoir plus : www.galea-associes.eu
[1] Lydia O’Connor, The Huffington Post (2016). The Wage Gap: Terrible For All Women, Even Worse For Women Of Color. http://www.huffingtonpost.com/entry/wage-gap-women-of-color_us_570beab6e4b0836057a1d98a
[2] Vidéo « L’égalité, on a tou.te.s à y gagner » sur le manque de mixité du Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes (2016) : https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/3-au-9-octobre-semaine-de-legalite-professionnelle-entre-les-femmes-et-les-hommes/
[3] Recherche de Citi (2017) : https://ir.citi.com/rxehymXStWqV7Y6S58ExJLPdJPjqZicwdoxqT%2Fc0qDsBMFxbL%2FzcJiG%2FgKE%2BRxwHcad8oQrgD1w%3D [4] CSEP : Le sexisme dans le monde du travail, entre déni et réalité (2015) : http://femmes.gouv.fr/wp-content/uploads/2015/03/RAPPORT-CSEP-V7BAT.pdf