En mai 2025, l’IGF (inspection générale des finances) et l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) ont produit un rapport relatif aux « divergences territoriales dans les modalités d’attribution des aides sociales légales et panorama des aides extralégales ».
Les aides sociales légales sont l’allocation adulte handicapé (AAH), l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), la prestation de compensation du handicap (PCH), et l’aide sociale à l’hébergement (ASH).
En 2023, ces prestations représentent 30 milliards d’euros, soit 1 % du PIB. Elles sont financées par les départements (42 %), l’Etat (38 %) et la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) (20 %).
Par cette brève, nous développerons les pans de ce rapport relatifs à la lutte contre la fraude, à l’iniquité territoriale et à l’obligation alimentaire. Il sera également fait un focus sur l’APA. En conclusion, nous insisterons sur les premiers enseignements pouvant être tirés par les organismes d’assurance.
Sur le plan de la lutte contre la fraude, le rapport met en évidence des problématiques semblables à celles de l’assurance santé/prévoyance complémentaire telles que :
- la distinction instructeur/payeur. Ils indiquent que cette distinction « nécessite de définir les responsabilités des différents acteurs et de formaliser les processus, informations et outils, pour réduire les risques de déresponsabilisation et d’aléa moral, susceptibles d’altérer le paiement à bon droit, l’équité territoriale, et l’égalité devant la solidarité nationale. »
- des lacunes de l’automatisation des échanges entre les services instructeurs et payeurs avec les autres organismes tels que la sécurité sociale ou les services fiscaux. Ces lacunes ne permettent pas de sécuriser les informations.
- l’absence de stratégie de détection de la fraude.
Sur le plan de l’iniquité territoriale, une cause principale est identifiée : la compétence départementale. Les « écarts de pratiques sont consubstantiels d’une part à la décentralisation et à la libre-administration des collectivités territoriales ». Cette iniquité prend différentes formes telles que :
- des pratiques hétérogènes dans l’évaluation de la perte d’autonomie et des besoins ;
- pour l’APA, la mission a constaté des divergences relatives à la prise en compte des ressources (notamment vis-à-vis des revenus d’assurance vie).
Il y a aussi des divergences territoriales qui sont dues à des différences de démographie entre les départements. Ces divergences ne sont pas des iniquités.
Sur la question de l’obligation alimentaire, une des particularités de l’aide sociale à l’hébergement (ASH) est que l’obligation alimentaire s’applique à cette aide. L’obligation alimentaire est l’obligation d’aider matériellement des personnes de sa famille, lorsque ces dernières sont dans le besoin. Cela signifie que le bénéfice et le montant de cette aide dépend notamment des revenus des obligés alimentaires de la personne qui la sollicite.
Une des propositions du rapport consisterait à introduire une obligation alimentaire dans le cadre de l’APA et de la PCH sur le modèle de l’ASH, en cohérence avec les principes du Code civil et au nom de l’équité entre enfants aidants et non aidants.
Un effet pervers de cette réforme serait le non-recours aux prestations, qui augmenterait les dépenses de santé. Or, si la santé des personnes se dégrade ça crée des coûts pour l’Assurance Maladie.
Ces propositions ont aussi des enjeux croisés avec les dispositifs/accords de soutien aux salariés proches aidants. Par exemple, une personne qui n’est pas proche aidant, mais qui participe financièrement via l’obligation alimentaire pourra-t-elle bénéficier d’un dispositif de soutien aux proches aidants ?
Focus sur l’APA
L’APA est une prestation à vocation universelle, sans conditions de ressources. Elle vise à compenser les charges supplémentaires liées à la perte d’autonomie des personnes âgées. Le montant de l’APA dépend de la perte d’autonomie (selon la grille AGGIR) et des revenus de la personne âgée. En cas d’urgence, l’APA peut être attribuée rapidement, mais à titre provisoire.
La loi d’adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015 a progressivement élargi l’APA aux besoins des aidants (droit au répit, possibilité de prise en charge de la personne aidée lorsque son aidant est hospitalisé et a besoin d’être relayé). L’application de cette réglementation est hétérogène selon les départements.
Le rapport met par ailleurs en lumière le risque de double financement avec le crédit d’impôt aide à la personne.
Dans le cadre de la PCH et de l’APA, la proposition 21 du rapport propose de déduire les éventuels droits à indemnisations versés par les assurances et autres tiers, en cas de cause accidentelle, du montant des aides légales, et d’instaurer une obligation de notification par les assureurs des montants d’indemnisations alloués via une loi.
Quelques réflexions concernant les organismes d’assurance
Pour les organismes d’assurance, les constats du rapport IGF-IGAS ne sont pas sans conséquence. Le renforcement éventuel de l’obligation alimentaire dans l’APA ou la PCH pourrait inciter certains ménages à rechercher des solutions privées, afin de préserver l’équilibre familial et d’éviter une charge financière pesant sur les proches. Les contrats dépendance auraient alors intérêt à proposer des garanties modulables, incluant par exemple des mécanismes de protection pour les aidants familiaux.
Dans un contexte où les pratiques départementales restent très hétérogènes, les offres assurantielles peuvent aussi se différencier par une meilleure lisibilité et une homogénéité à l’échelle nationale.
Les assureurs disposent également d’une carte à jouer sur le terrain des services : orientation dans les démarches administratives, accompagnement juridique ou fiscal, et surtout soutien aux proches aidants. Sur ce dernier point, le développement d’offres collectives intégrant des dispositifs d’aide aux aidants salariés, en partenariat avec les employeurs, constitue une opportunité croissante.
D’autre part, la proposition d’imputer aux aides publiques certaines indemnisations d’assurance interroge la coordination entre financeurs. Les assureurs devront anticiper cette évolution, adapter leurs contrats pour éviter tout risque de double financement, mais aussi valoriser leur rôle complémentaire dans le financement de la dépendance.
Ainsi, les évolutions évoquées ouvrent un champ d’innovation : rentes dépendance ajustées au degré de perte d’autonomie, solutions hybrides épargne/dépendance, ou encore offres familiales multigénérationnelles.
Dans un système public fragmenté et complexe, la valeur ajoutée des assureurs sera de proposer simplicité, continuité et protection durable.
