Les régimes de retraite sont comme tous les dispositifs sociaux frappés de plein fouet par la crise. Nous nous souvenons qu’il y a quelques mois, les quelques 42 régimes étaient promis à une réforme -aujourd’hui à l’arrêt- qui devait organiser leur regroupement en un seul.
Chacun de ces régimes est touché à des degrés divers par une crise qu’aucune cartographie de risque ne pouvait raisonnablement envisager.
Les régimes n’ont, à ce jour, pas communiqué sur les difficultés rencontrées dans le nouveau contexte, à l’exception de l’Agirc-Arrco qui fait état d’une perte de cotisation de 30% en mars et s’attend à des chiffres sans doute encore plus dégradés au titre des mois d’avril et mai.
Ces chiffres abyssaux donnent la mesure du défi qui se présente à tous les régimes de retraite.
Le régime Agirc-Arrco : ne pas compromettre le pilotage par les réserves
Le régime Agirc-Arrco est revenu récemment de 10 années de déficit. Les Partenaires sociaux ont su par des mesures adaptées mener à bien ce retour à un équilibre technique qui, dans un régime par répartition, se caractérise par l’égalisation des cotisations encaissées et des prestations versées https://www.galea-associes.eu/2020/03/les-resultats-agirc-arrco-le-retour-a-lequilibrememe-si/. Le régime ne peut qu’être affecté par une pression sans précédent sur ses ressources : déploiement massif du chômage partiel, report – et sans doute annulation- du paiement de cotisations…
Il présente la particularité d’avoir su constituer un volant de réserves important au cours des années. A l’occasion du paiement des échéances de retraite mensuelles à venir, l’enjeu est que le besoin de trésorerie (court terme) ne vienne obérer le niveau des réserves constituées pour le moyen / long terme. Nous nous souvenons que les accords paritaires récents ont déterminé un niveau minimum de réserves (> 6 mois de prestations) avec l’ambition de réaliser un pilotage par les réserves.
Les réserves constituées patiemment au fil des années sont, elles aussi, touchées lourdement par la crise financière. Constituées d’obligations et d’actions, les réserves estimées à 65 Mds € (environ 9 mois de prestations d’avance) avant la crise ont vu la poche actions suivre, peu ou prou, la dégringolade des indices.
Ce double effet flux / stock conduit inévitablement à une pression sur la trésorerie du régime qui doit honorer le paiement des échéances de retraite mensuelles. Cette situation a amené la présidence paritaire du régime Agirc-Arrco à solliciter auprès de l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) l’octroi d’avances de trésorerie pour le financement des allocations de juin et juillet, selon 2 échéances de 8 Mds €, soit environ 2 mois de prestations. Il s’agit d’une possibilité prévue par l’une des ordonnances gouvernementales adoptées le 25 mars : l’avance de trésorerie s’étend sur une durée inférieure à 1 an et n’est pas sans coût pour le régime.
Cette mesure de saine gestion vise à se donner un peu d’air pour préserver les réserves en évitant de réaliser des ventes de titres dans les pires conditions. Le rebond sensible des marchés financiers suite au mouvement de panique de la fin mars valide totalement cette stratégie. Les gestionnaires savent qu’ils doivent toutefois anticiper la possibilité d’une « seconde lame » consécutive, par exemple, à des tensions géopolitiques, à une reprise économique vacillante ou à une deuxième vague d’épidémie…
L’Agirc-Arrco est à notre connaissance le premier régime à faire ainsi publiquement état de tensions sur ses comptes.
Régime couvrant la quasi-totalité du secteur privé, sa situation est le miroir de l’économie française dans laquelle nous savons que la moitié des salariés sont aujourd’hui au chômage partiel. L’assise interprofessionnelle du régime permet que les retraités et salariés ne connaissent pas des sorts différents pour leurs retraites en fonction de leur secteur économique d’appartenance.
Cette solidarité s’exprime, et aura l’occasion de s’exprimer plus encore dans les prochaines semaines, dans un contexte de reprise économique qui fera, sans nul doute, ressortir de fortes disparités d’un secteur à l’autre : là encore, il n’y aura pas d’incidences en matière de retraite, l’ensemble des parties prenantes du régime étant liées par une sorte de clause de bonne fortune.
Les régimes organisés dans le cadre de professions seront diversement touchés
Les régimes organisés dans le cadre de professions ne seront pas tous affectés de manière identique s’agissant de secteurs durablement à l’arrêt ou, au contraire, favorables pour des professions préservées ou en redémarrage rapide.
Au-delà des effets économiques du secteur professionnel, il s’agira de mesurer pour les différents régimes :
- des chocs sur la trésorerie des régimes en tenant compte de la liquidité et la diversité des actifs constituant les réserves ;
- des chocs sur les équilibres techniques des régimes, les cotisations non encaissées n’ouvrant pas constitution de droit, la diminution des cotisations ne reporte pas de déficit dans le temps. Selon le niveau des réserves, les régimes matures ayant constitué plusieurs années de cotisations en réserve apparaissent mieux armés pour traverser la crise ;
- l’effet d’une éventuelle surmortalité liée au COVID, les charges du régime pouvant alors être allégées.
Les régimes de retraite bénéficient du temps long, si les rendements techniques devaient être dégradés pour rétablir un équilibre compte tenu de la crise économique qui succède à la crise sanitaire, il n’est pas question de suspendre ou diminuer les prestations perçues par les retraités.
Contrats Madelin : des possibilités nouvelles de déblocage pour répondre aux enjeux de court terme
Du côté des régimes de retraite supplémentaire par capitalisation, des aménagements ont été prévus pour les professions libérales : il sera possible d’effectuer des retraits sur les contrats de retraite dits Madelin, habituellement bloqués jusqu’à la liquidation de la retraite. Bien qu’à court terme, ce déblocage apporte un peu de souffle à ces professionnels très affectés par la crise, ces retraits conduiraient immédiatement à une diminution de leurs ressources une fois à la retraite et les conditions de retrait ne semblent pas idéales compte tenu de l’incertitude des conditions de rachat / réinvestissement auprès de l’assureur et de la situation des marchés financiers.
Nous le voyons, les différents régimes sont, à un degré ou à un autre, touchés par une crise qui touche la plupart de leurs paramètres de fonctionnement. Quelles que soient les caractéristiques de ces régimes (professionnels ou national), leur mode de financement (répartition ou capitalisation), la démarche qu’ils doivent suivre pour appréhender cette crise et ses différents impacts actuels et futurs est tout à fait comparable.
Nous vous invitons à vous référer à notre article récent : mesures prioritaires dans le cadre de la gestion des risques en période de crise. https://www.galea-associes.eu/2020/05/mesures-prioritaires-dans-le-cadre-de-la-gestion-des-risques-en-periode-de-crise/
Nous sommes à votre disposition pour échanger avec vous sur ces points dont l’actualité ne devrait malheureusement pas décroitre.