Le projet de loi mis aujourd’hui sur la table porte, des dispositions structurantes aux effets potentiellement considérables sur les différents régimes de retraite appelés à se fondre dans un 43ème régime, ce dernier ayant vocation à devenir le système universel.
L’analyse du projet de texte montre une volonté des pouvoirs publics d’aller vite dans le processus de rapprochement des régimes : cette exigence de rapidité n’est pas spontanément intuitive au regard de la mise en place très différée de la réforme pour les assurés. Rappelons en effet que, pour simplifier, le système universel concernera les générations 1975 et suivantes, pour leurs parties de carrières postérieures à 2025 : les cohortes nées à partir de 2004 entrant sur le marché du travail en 2022 auront quant à elles vocation à relever du régime universel pour l’ensemble de leur carrière dès cette date. Par ailleurs, les différentes mesures qui ont été concédées aux demandes catégorielles repoussent singulièrement la marche vers l’universel au travers de spécificités liées : à la prise d’effet de la réforme, aux taux de cotisation, au calcul des droits ….
Le volontarisme dont font preuve les pouvoirs publics au regard d’un rassemblement rapide des entités préexistantes a sans doute pour objet de montrer que la phase de cohabitation durable entre les régimes anciens et le nouveau système ne fera pas obstacle à la mise en place rapide des structures indispensables au fonctionnement du futur régime.
Un esprit espiègle noterait que ce qui peut ressembler à un big bang peut également contribuer à rendre la réforme irréversible.
Qu’en est-il ? Une caisse nationale du régime universel (CNRU) va être créée dès décembre 2020 : elle exercera un pilotage préfigurant le régime futur sous la houlette d’un Conseil d’administration et d’un directeur général : elle viendra ce faisant déposséder les régimes existants d’une très large partie de leur autonomie dès la phase transitoire, prélude à une inclusion complète.
Cette dépossession concerne tant le pilotage des régimes que leur gestion administrative : autrement dit, elle couvre l’ensemble du champ d’activité d’un régime de retraite.
Ces évolutions qui concernent notamment le champ des salariés représenté par les régimes Cnav/Agirc-Arrco viendront tout particulièrement affecter l’écosystème de la retraite complémentaire du secteur privé -et dans une moindre mesure l’Ircantec : le régime Agirc-Arrco s’est caractérisé jusqu’à présent par l’autonomie de pilotage conférée aux Partenaires sociaux et par des modalités de gestion s’écartant sensiblement du modèle en place dans les caisses nationales.
Cette double originalité pilotage / gestion explique qu’au-delà des dispositions concernant l’ensemble des 42 régimes, de nombreux points du texte visent tout particulièrement la situation spécifique du périmètre Agirc-Arrco.
1.Volet pilotage et financier
La mise en place d’un pilotage financier et l’instauration d’une trajectoire d’équilibre pluriannuel du système universel ont pour objet de répondre à l’objectif de soutenabilité du futur régime. Ce faisant, la réforme « systémique » met en place une organisation qui n’est pas sans lien avec le « paramétrique », montrant le caractère parfois artificiel de la distinction entre ces 2 notions. Cet enjeu majeur de l’équilibre, porté par le projet de loi organique, suppose de mettre en place rapidement une gouvernance coiffant celle des régimes en place : il s’agit d’éviter, dès à présent, que l’un des 42 régimes ne vienne à s’engager dans des décisions financières ou réglementaires qui s’écarteraient de la nécessaire convergence vers le régime universel.
Par la perspective d’« une intégration financière complète », dès 2022 la couleur est annoncée. Elle conduira la grande caisse nationale, établissement public administratif, à disposer très rapidement d’un droit de regard sur le pilotage technique et financier des régimes. Cette prise en main rapide peut s’illustrer entre autres choses par l’établissement d’un état des lieux financier des comptes des régimes dès 2020 et par l’obligation qui sera faite aux régimes de transmettre les délibérations de leurs gouvernances permettant, le cas échéant, l’exercice d’un droit d’opposition de la tutelle étatique.
En ce sens également, la perspective prochaine d’une inclusion de la retraite Agirc-Arrco dans la loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) conduira à placer de fait ce régime – personnifié par les Partenaires sociaux- sous la responsabilité du Parlement. Cette mise sous tutelle du pilotage paritaire qui de l’avis général n’a pas démérité peut faire sourire quand, par un même constat, il est admis que l’Etat ne s’est quant à lui pas montré un gestionnaire irréprochable ! Il reste que cette « prise de contrôle » induite par la mise en place du système unifié, est rendue nécessaire pour que le nouveau système puisse piloter la trajectoire d’équilibre dont on connait la difficulté.
On relèvera que le nouveau régime confèrera un rôle aux Partenaires sociaux dans sa gouvernance : il est clair pour chacun que l’importance de ce rôle sera sans commune mesure avec celui actuellement exercé dans la retraite complémentaire.
2. Volet gestion
Moins sensible pour l’observateur extérieur, le volet gestion est en revanche central pour l’assuré, bénéficiaire final du service dans le cadre de « la perspective d’une simplification sans précédent ». Il revêt inévitablement une grande sensibilité pour les salariés exerçant leur activité dans les entités de gestion. En sollicitant considérablement ces équipes, il faudra veiller à ne pas négliger le souci de maitrise des dépenses de gestion, dont le montant -tous régimes confondus- avoisine les 6Mds et a fait sur la dernière décennie d’un effort de réduction considérable.
Nous l’avons dit, il faudra pour les actifs nés à compter de 1975 être en capacité, dès 2005, de procéder à la conversion de leurs droits constitués dans les anciens régimes en points « nouveau régime » et de gérer les générations 2004 et suivantes dans le cadre du système unique.
Il faudra également dans la période longue de coexistence des multiples régimes, répondre à l’objectif de présenter, autant que possible et aussi vite que possible, aux assurés un service unifié, masquant la complexité d’un système en devenir.
Les organismes au premier rang desquels l’ensemble Cnav/Agirc-Arrco seront tout particulièrement mis à contribution, ces structures étant amenées à fusionner dans un délai sans doute rapide, les rapprochements d’équipes concernant prioritairement les dom aines de l’informatiques et des réseaux d’accueil.
Quelques mesures emblématiques peuvent caractériser cette évolution.
Le transfert acté et prochain du recouvrement de l’Agirc-Arrco vers l’Acoss remettra en cause dans un délai rapide une fonction exercée par la retraite complémentaire supposant des métiers et des emplois à la clef.
L’ambition de simplification se traduit par la perspective de mise en place de nouveaux services dans le cadre des relations avec les assurés : constitution d’un compte personnel de carrière, versement unique de pension, information globale tout au long de la carrière permettant une connaissance de l’intégralité des droits constitués et de faire des choix éclairés. Ces projets ambitieux pourront s’appuyer sur les travaux déjà menés par la communauté des régimes dans le cadre des Groupements d’intérêt public ( GIP info-retraite et union-retraite) : la mise à disposition de la communauté d’une « force de frappe » sollicitera les équipes des régimes de salariés au travers des Carsat opérant pour le régime de base et des Cicas pour la retraite complémentaire.
Ces enjeux de gestion et cette volonté d’un service amélioré pourront s’appuyer sur les facultés rendues possibles par le Répertoire de Gestion des Carrières Uniques (RGCU), en cours de montée en charge : le réseau d’accueil aura quant à lui la redoutable mission d’informer les actifs sur un environnement qui ne sera, dans un premier temps, pas caractérisé par sa simplicité.
L’atteinte de ces objectifs supposera, nous l’avons dit, de s’appuyer sur la mise en place d’une avant-garde regroupant rapidement tout ou partie des équipes de l’ensemble Cnav/Agirc-Arrco. Ne nous y trompons pas, l’ampleur des conséquences sur les structures gestionnaires se caractérisera par une forte dissymétrie entre les acteurs : les groupes de protection sociale opérant pour le compte de la retraite complémentaire seront particulièrement touchés par ces projets.
l’Etat ouvre au travers du volet gestion, un projet de centralisation des systèmes sociaux sans précédent, projet qui n’est pas sans risques au travers notamment les opérations de convergence informatique considérables qu’il induit, sans parler d’un chantier RH. Ces grands travaux vont nécessiter un pilotage performant de la part de la puissance publique, qui n’a pas toujours brillé dans la conduite de projets dont chacun conserve la mémoire (DMP, RSI, Louvois…).
Dans le cadre de cette perspective des travaux d’Hercule, il est indispensable que la trajectoire d’une probable hausse- au moins temporaire- des charges de gestion induites fasse l’objet d’un chiffrage présenté au Parlement : ces coûts nécessairement distraits du financement des retraites ont fait l’objet d’un effort de maitrise par les différents régimes. Une inversion de cette courbe vertueuse ne serait pas un bon signe, ni une participation positive, à la difficile question de l’équilibre financier qui va légitimement faire l’objet de toutes les attentions, ces prochaines semaines. Les petits ruisseaux…
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Au travers des différentes mesures que nous avons recensées, on voit que l’exécutif entend se donner les moyens très concrets d’une « transformation d’ampleur de notre système de protection sociale » tant au regard du pilotage du futur régime que de sa mise en œuvre opérationnelle. Face à cette ambition dont on mesure chaque jour davantage l’étendue (certains diront, la démesure !), se pose la question de savoir quelle sera l’ampleur des amodiations qui seront apportées à chacun de ces volets lors du débat Parlementaire.
Il faut souhaiter que ces débats ne soient pas escamotés en raison de la technicité d’une matière devenue explosive, de l’urgence, d’un risque d’opposition systématique et de la lassitude qui pourrait guetter sur un sujet sur lequel tant a été dit !
La question pilotage / finance -au fond la question politique- devrait davantage animer les joutes parlementaires que le domaine de la gestion administrative. On peut émettre le souhait que les débats Parlementaires puissent en ces 2 domaines faire le tri entre l’important, l’urgent et ce qui pourrait s’apparenter à un risque de précipitation.