La Faillite de Law

An de grâce 1715 : “Le Roi est mort, Vive le Roi”, Louis le Quinzième accède au trône de France à l’âge de 5 ans, son grand père lui laisse en héritage un colosse aux pieds d’argile.

Sortant grandie territorialement pas l’adjonction de Lille et de Strasbourg ainsi que par l’annexion de la Franche comté et du Roussillon, la France est aussi la débitrice des 31 années de guerre du Roi soleil ainsi que des fastes de la cour et de la construction du château de Versailles. Les estimations situent la dette de l’Etat entre 3 et 3,5 milliards de livre Tournoi soit environ l’équivalent du PIB du pays, ou en prenant le cours officiel de la livre Tournoi entre 1857 et 2166 Tonnes d’or.

John Law de Lauriston est le fils d’un orfèvre d’Edimbourg qui jouit dans sa jeune d’une réputation de dandy débauché.

John Law

Doué d’un goût certain pour ce que nous appelons aujourd’hui les probabilités il acquiert une fortune colossale dans l’art de la spéculation en parcourant l’Europe.

En 1705, il publie des “considérations sur le numéraire et le commerce”, ouvrage dans lequel en avance sur son temps il énonce que “La monnaie est dans un Etat ce que le sang est au corps humain; sans l’un, on ne saurait vivre, sans l’autre, on ne saurait agir. La circulation est nécessaire à l’un comme à l’autre”. Il y suggère entre autre la création d’une monnaie papier et la fin de la référence à l’étalon métallique (Or ou Argent selon les pays).

C’est en 1714 qu’il s’établit à Paris et ses prouesses au jeu lui permettent de rencontrer le Régent, qui se laisse séduire par les promesses d’éradication de la dette, c’est ainsi que le 2 Mai 1716, un édit autorise John Law à créer la Banque générale.

Dès le début John Law innove en permettant aux actionnaires de souscrire aux actions mais en ne versant qu’un cinquième de la souscription sous forme de numéraire et dès la fin de l’année les actions portent intérêt aux taux de 7,5 % de dividende soit une rémunération plus de cinq fois supérieure à celles pratiquée par ses concurrents. Dès lors plus personne ne doute et les appels aux marchés permettent à Law de disposer des fonds nécessaires à la poursuite de ses opérations.

Fort de la promesse faite au régent, dès 1717 la Banque générale procède au rachat des billets émis sous Louis XIV pour financer les guerres de sa fin de règne, en les échangeant contre des titres émis par la Banque. La Banque procède aussi au rachat de la Compagnie d’Occident qui obtient rapidement le monopole du commerce et de la mise en valeur des colonies du nouveau monde, soit à cette époque environ le tiers du continent Nord Américain.

 Présence Française en 1750

C’est la mise en valeur de ce vaste territoire qui doit permettre d’assurer l’avenir de la Banque et de la Compagnie d’Occident. Parallèlement la Banque générale obtient le privilège de percevoir les impôts indirects, ce qui assure de confortable revenus à l’entreprise.

A ce moment, tout semble réunis pour une réussite de l’entreprise, des revenus immédiats permettant de financer les investissements nécessaires à la mise en valeur et au développement futur des colonies d’Amérique du Nord. D’autant que l’édit du 4 Décembre 1718 offre la garantie de l’Etat à l’ensemble des titres émis par la Banque générale qui devient pour l’occasion la Banque royale

Toutefois, John Law n’oublie pas sa promesse de résorber la dette de l’Etat et emploie le schéma suivant : la Compagnie d’Occident émet des actions qui peuvent être achetées à la Banque royale avec des titres de la dette publique à court terme au pair. Cette dernière étant à cette époque fortement sous cotée du fait de la quasi cessation de paiement et du non paiement des intérêts, les porteurs s’empressent de faire l’échange. Pour financer le rachat de la colossale dette de l’Etat, John Law fait tout simplement tourner la planche à billet.

Pour s’imaginer l’ambiance de la rue Quincampoix ou la Banque royale à son siège, il suffit de regarder la scène du Bossu (réalisé par André Hunebelle et adapté du roman de Paul Féval) dans laquelle Jean Marais prête sa bosse aux spéculateurs.

En 1720, John Law introduit les premiers contrats à terme sous la forme dite des “primes”, qui donne le droit d’acheter plus tard des actions au prix de 10 000 livres en échange d’un dépôt de 1 000 livres. L’objectif premier de Law est d’informer le marché que les actions ne valent pas plus de 10 000 livres mais dans les faits les spéculateurs s’arrachent les actions de 10 000 livres pour les échanger contre 10 fois plus de “primes” de 1 000 livres.

Afin de stopper la spéculation, John Law propose la fusion entre la Compagnie et la Banque royale, mais les proches du pouvoir, fortement impliqués financièrement obtiennent du Régent le rachat des actions au prix de 9 000 livres payés en billet de la Banque royale garantis par l’Etat, c’est la naissance de la monnaie papier.

Rappelons que la Banque royale garantit quant à elle la conversion de sa monnaie en or et lorsque, sous la pression d’une demande de conversion trop importante, les porteurs de billet de banque se rendent compte que la masse monétaire en circulation est trop importante pour être remboursée, c’est  le premier “Bank Run” en France.

Au crédit de cette épopée, il convient tout de même de souligner que du point de vue de l’Etat la question de la dette était réglée même si ce fut au prix de la faillite d’un grand nombre de personnes (mais aussi au bénéfice de certains) et l’activité économique était repartie.

Aujourd’hui, cet exemple est toujours parlant pour comprendre les conséquences extrêmes d’une émission monétaire incontrôlée, car au final, la vraie valeur d’un billet de banque c’est bien la confiance que les personnes lui accordent (cf. Orléan (2011) pour une analyse de ce thème central en économie qu’est la valeur). Dans le cas contraire c’est l’ensemble du système qui risque de s’écrouler tout simplement par manque de confiance.

Références
Edgar Faure (1977) La Banqueroute de Law, le 17 Juillet 1720, Gallimard.
André Orléan (2011) L’empire de la valeur. Refonder l’économie, Seuil.

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