Les assureurs français face au risque de changement climatique (RCC)

Contexte

Le changement climatique est un sujet qui impacte l’ensemble des secteurs d’activités et les assureurs sont également concernés : la pénalisation de certains investissements jugés trop polluants ou encore la transformation de certains risques affectent directement leur activité.

Conformément à l’article 173 de la Loi sur la Transition Energétique pour la croissance verte (LTE), les investisseurs institutionnels doivent « publier des informations sur les modalités de prise en compte, dans leur politique d’investissement, des critères relatifs au respect d’objectifs Environnementaux Sociaux et de Gouvernance et sur les moyens mis en œuvre pour contribuer à la transition énergétique et écologique ». Dans le cadre de ses missions de contrôle, il appartient à l’ACPR de vérifier l’application de cet article.

Quels rôles joueront les assureurs dans la transition énergétique, quels sont les outils pour traiter le changement climatique et comment décliner le risque « changement climatique » ?

Cette synthèse a pour but de résumer l’article éponyme de l’ACPR sur le risque de changement climatique.

Les chiffres mentionnés proviennent d’une étude de l’ACPR réalisée auprès de 139 organismes représentant 80% des placements des assureurs français.

Tout d’abord, qu’est-ce que le Risque de Changement Climatique (RCC) ?

Comme son nom le laisse deviner, le RCC est le risque lié aux impacts des changements climatiques. Ce risque « nouveau » est très inégalement traité par les assureurs, les réglementations sur le sujet étant encore floues. En effet, alors que 72% des organismes d’assurance possèdent une définition interne et/ou un process d’analyse du RCC, 28% des organismes ne prennent toujours pas ce risque en considération. De même, 36% des assureurs déclarent ne pas disposer d’effectifs dédiés à la gestion du RCC, alors que 11% déclarent dédier plus de 10 emplois à temps plein à son suivi. Le nombre de personnes affectées à la gestion du RCC n’est pas corrélé à la taille de l’organisme, que ce soit pour les organismes vie et mixtes ou les organismes non-vie.

Pour ceux ayant une définition interne de ce risque, il est majoritairement décomposé en 3 grandes catégories :

  • Le risque physique, cité par 93 % des organismes, qui résulte des dommages directement causés par les phénomènes météorologiques et climatiques (exemples : perte de valeur des placements, augmentation de la fréquence et/ou du coût des sinistres à régler). (1)
  • Le risque de transition,cité par 79% des organismes, qui résulte des ajustements effectués en vue d’une transition vers une économie bas-carbone, en particulier lorsque ceux‑ci sont mal anticipés ou interviennent brutalement (exemples : dépréciation des actifs suite aux possibles évolutions réglementaires qui pénaliseraient certaines activités, perte de contrats jugés « trop polluants »). Les principaux secteurs touchés par ce risque sont les producteurs d’énergies fossiles, d’électricité, de gaz et d’eau et ceux consommateurs d’énergie comme le logement ou les transports. Les assureurs sont ainsi directement touchés par leurs investissements dans ces « actifs échoués (2) ».
  • Le risque de responsabilité induit (risques juridiques et de réputation),cité par 51 % des organismes, lié aux impacts financiers des demandes de compensation de la part de ceux qui subissent des dommages dus au changement climatique (exemple : investissements finançant le développement d’industries polluantes).

Les mesures du Risque de Changement Climatique

L’assurance est un domaine particulier pour ce risque, étant évalué différemment en fonction de la partie du bilan étudiée.

  • A l’actif, les deux mesures majeures utilisées pour évaluer le RCC sont l’empreinte carbone et la notation Environnementale, Sociale et de Gouvernance (ESG) du secteur d’activité des investissements.Ainsi, 94 % des assureurs ayant répondu à l’étude affirment connaitre l’empreinte carbone de tout ou partie de leur portefeuille (entreprises, souverains, régions, etc…), et la notation ESG est utilisée sur 97 % de l’actif.

Plusieurs critères existent afin d’évaluer l’exposition au RCC d’un titre. Cependant, chez les assureurs, un critère ressort particulièrement pour discriminer les investissements : le secteur d’activité de l’émetteur, deux fois plus cité que la zone géographique.

  • Au passif, la localisation des entreprises et des populations assurées est la mesure la plus citée, avec l’impact de scénarios adverses sur ces engagements. Ainsi, près de 83 % des organismes d’assurance ayants répondu être capables d’identifier leurs risques liés au changement climatique utilisent la localisation comme critère principal de mesure de l’exposition au risque. Ce critère est d’autant plus plébiscité pour les organismes non-vie car il est déjà étudié pour les engagements d’assurance dommages. Les assureurs s’appuient donc sur leur expérience pour analyser le risque physique auquel ils sont exposés.

La localisation géographique est étudiée majoritairement au niveau de la commune ou plus finement encore pour plus de 90 % des provisions techniques exposées au RCC.

La majorité des assureurs, représentant 92 % des engagements exposés au RCC, mesure la matérialité du RCC sur leur passif à l’aide de scénarios climatiques simulant l’évolution du climat sur 5 à 10 ans, en prenant en compte le déroulement de leur transition énergétique.

Mesures pour atténuer l’impact du changement climatique

Afin d’être le moins sensible possible au RCC, les assureurs diversifient les couvertures ou se désengagent des zones « à risques ».

-A l’actif, les principales mesures consistent à limiter les investissements dans des secteurs « non-verts », à mettre en place des politiques de sensibilisation aux enjeux climatiques dans les équipes opérationnelles chargées des investissements, à effectuer une « décarbonation » du portefeuille ou encore à instaurer un suivi spécifique du RCC.

-Au passif, il existe une pluralité de réponses au RCC. On peut notamment citer la mise en place de politiques géographiques et sectorielles, l’ajustement de la tarification voire le non-renouvellement de certaines polices d’assurance pour certains clients ou secteurs à risques, le réajustement de la stratégie de réassurance ou encore le suivi du niveau du risque dans le portefeuille.

Pour les groupes les plus avancés dans ce domaine, un modèle interne a été développé pour le RCC et une évaluation du risque climatique est désormais intégrée dans l’ORSA. Ces modèles s’intéressent actuellement spécifiquement à des classes d’actifs ou de passifs jugés « très exposés au risque climatique », puis auront vocation à être étendus aux autres classes d’actifs et lignes d’activités.

Etudier le RCC, obligation ou nécessité ?

L’article 173 de la LTE explicite le contenu et les modalités des informations relatives à la politique d’investissement et à la gestion des risques à divulguer annuellement et publiquement par les organismes d’assurance. Par exemple, certaines informations demandées sont la description de la démarche générale de prise en compte des critères ESG dans la politique d’investissement ou encore la description générale des procédures mises en place pour identifier les risques associés aux critères ESG ainsi que l’exposition de ses activités à ces risques.

Cependant, l’application de l’article 173 varie d’un organisme à l’autre. En effet, le législateur a volontairement été peu prescriptif en la matière afin d’encourager les initiatives et approches innovantes de ce « nouveau » domaine.

Bien que contraignant, l’engagement dans la lutte contre le changement climatique opéré par certains assureurs au travers d’investissements plus « verts » permet de promouvoir son activité. En effet, un point obligatoire du rapport exigé par l’article 173 de la LTE est la mention de l’adhésion à une charte/code/initiative ou l’obtention d’un label sur la prise en compte des critères ESG. Les organismes engagés pour la cause climatique peuvent ainsi communiquer sur ce thème et mettre en avant leurs politiques d’investissements « vertes ».

Limites actuelles

Le risque de changement climatique, considéré comme « nouveau », se heurte à des limites à différents niveaux.

  • Beaucoup d’organismes ne traitent pas encore ce risque à part, voire ne le traite pas du tout.
  • L’horizon des stress tests de résistance aux risques climatiques reste trop court en général (entre 5 et 10 ans en moyenne contre un horizon de changement climatique attendu entre 2030 et 2050).
  • Les évolutions climatiques actuelles rendent caduques les données utilisées pour le calibrage des modèles d’évaluation des risques.
  • Les effectifs des services chargés de la gestion de ce risque sont encore très faibles voire nuls (manque de formations, d’information).
  • L’article 173 impose aux assureurs des obligations de transparence sur leur politique d’investissement et la gestion des risques liés au changement climatique, mais la mobilisation des assureurs à l’encontre de cette mesure reste très hétérogène car les exigences ne sont pas encore chiffrées et sont encore trop principielles.

Le rôle des actuaires

Face aux enjeux du risque de changement climatique en général, et dans le domaine de l’assurance en particulier, les actuaires sont impliqués et mettent à disposition leurs méthodes d’analyse traditionnelles ou plus modernes de data science, en priorité sur leurs thèmes de prédilection : les produits, les tarifications, le provisionnement, la gestion d’actifs, la solvabilité et la gestion des risques (cf. les travaux en cours dans le cadre des ORSA).

Le 18ème congrès des actuaires, qui se tiendra le 17 juin 2019, a pour thème : « Assurance et Finance : vent debout face aux changements climatiques ».

Précisions et articles en lien avec ce sujet :

(1) Changement climatique et santé :

Il faut tout d’abord rappeler que les catastrophes naturelles telles que les tempêtes, inondations, sécheresses et températures extrêmes sont amenées à devenir plus fréquentes. A titre d’exemple, trois des cinq tempêtes les plus coûteuses des 20 dernières années enregistrées jusqu’à 2018 avaient eu lieues en 2017. Il s’agissait alors des ouragans Harvey, Maria et Irma.

En France, la fréquence des canicules, actuellement d’une tous les vingt ans, pourrait passer à une tous les trois à quatre ans. Précisons ici que la canicule de 2003 avait entraîné une surmortalité de +55% soit 15 000 personnes, principalement chez les publics vulnérables et les personnes âgées.

Le réchauffement climatique posera également très probablement des problématiques épidémiologiques. Les maladies transmises par l’eau telles que la gastro-entérite ou la dysenterie pourraient se propager plus rapidement. Il en est de même pour la prolifération des insectes vecteurs de maladies telles que le paludisme –qui pourrait arriver en Europe-, la dengue, la fièvre à virus West Nile, le Chikungunya ou encore le virus Zika. Ce phénomène est déjà d’actualité avec, par exemple, l’invasion du moustique Tigre dans plus de 40 départements français ces dernières années.

L’agriculture pourrait également pâtir du réchauffement climatique, par une baisse de la production liée à l’augmentation des températures mais également la concentration du CO2. En parallèle, l’augmentation de la population mondiale –estimée par l’ONU à 9.8 milliards d’habitant en 2050, contre 7.6 milliards actuellement- demandera une augmentation de la production, ce qui risque de causer des situations de famines. Nous avons des exemples de ce type de problématiques ayant créé des émeutes et désordres politiques en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Mauritanie, en Egypte ou encore au Mexique.

Le réchauffement climatique peut donc être facteur d’insécurité alimentaire voire de malnutrition.

Les assureurs sont donc immédiatement touchés par toutes ces évolutions, que ce soit en santé avec les maladies mais également avec l’augmentation de la fréquence des catastrophes naturelles.

http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/679/original/Terra-Nova_Besoins-en-sante_301118.pdf?1543512301, pages 7 à 15

(2) Actifs échoués et risque de transition :

On appelle « actifs échoués » -traduction littérale du terme anglais stranded assets– des actifs ayant été fortement dévalorisés suite, par exemple, à une modification de la législation, des contraintes environnementales ou encore des évolutions technologiques.

Dans notre cas, une évolution brutale des réglementations sur les investissements pourrait impacter directement les placements des assureurs. Fin 2017, 10% du portefeuille total des assureurs français –soit 250 milliards d’euros- était jugé sensible à ce risque de transition, d’où la nécessité de la mise en place d’une politique de désinvestissement de ces placements.

Cependant, pour rappel, le trio pétrole-charbon-gaz représente encore aujourd’hui plus de 80% de la consommation d’énergie primaire dans le monde, les énergies renouvelables ne venant que s’additionner aux fossiles, sans les remplacer. Un mouvement de désinvestissement de ces secteurs rapide et généralisé pourrait donc entraîner, si les entreprises d’énergies fossiles ne trouvaient plus à se financer sur les marchés, une instabilité financière mais surtout une crise mondiale de l’énergie.

http://www.accroche-press.fr/transition-climatique-le-risque-des-actifs-echoues

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