Quelles perspectives de financement pour la perte d’autonomie ?

Les projections publiées par l’INSEE en novembre 2016 montrent qu’en 2040, la population des plus de 65 ans représentera 26% de la population, alors qu’ils ne représentent que 18% en 2013. A horizon 2070, la population des plus 75 ans devrait doubler, et celle des plus de 85 ans devrait être multipliée par quatre. Les travaux de l’INED mettent également en avant un ralentissement des gains d’espérance de vie sans incapacité par rapport aux gains d’espérance de vie totaux.

 

De ces évolutions démographiques attendues, découlent des questions majeures relatives au financement de la perte d’autonomie : quel mode de financement les pouvoirs publics doivent-ils mettre en place ? quel rôle les organismes assureurs doivent-ils avoir dans ce dispositif ?

La loi sur l’adaptation de la société au vieillissement, en vigueur depuis le 1er janvier 2016, témoigne d’une préoccupation croissante de l’Etat en matière de perte d’autonomie. En particulier, la création d’un Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge a permis d’amorcer les réflexions qui doivent être menées pour assurer une qualité de vie satisfaisante aux personnes âgées, dans une approche intergénérationnelle.

Hormis les soins pris en charge par la Sécurité Sociale et l’Aide Sociale à l’Hébergement, l’intervention de l’Etat pour la dépendance est matérialisée par l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA). Cette aide, accordée aux Français de plus de 60 ans dépendants selon les critères de la grille AGGIR[1], varie selon le lieu de vie de la personne âgée, ses revenus et son degré de perte d’autonomie (c’est à dire sa catégorie GIR).

Les possibilités de prise en charge de la dépendance sont toutefois variables selon la situation de la personne âgée :

  • le reste à charge observé reste croissant avec le niveau de dépendance[2];
  • le plafonnement de l’aide perçue pénalise les personnes ayant de faibles revenus ;
  • les besoins de financement des dépendants à domicile, évalués dans le cadre d’un plan d’aide, tiennent compte de l’implication de l’entourage. Sur ce sujet, le baromètre OCIRP de 2017 met en évidence une prise de conscience de l’engagement que représente le statut d’aidant. Cela est révélé par la part croissante, désormais majoritaire, des potentiels aidants refusant la perspective de prendre en charge la perte d’autonomie de leurs parents. Cette aide « gratuite » pourrait donc diminuer dans les prochaines années, et ce désengagement des proches aidants risque de peser sur les dépenses publiques.

 

Outre ces écueils dans le système actuel, les estimations de l’INSEE prévoient que les dépenses d’APA s’élèveront à 12,4 Md€ en 2025 (4,3 Md€ de plus qu’en 2014), puis à 20,6 Md€ en 2040 (12,2Md€ de plus qu’en 2014). Malgré ces projections des dépenses publiques, le financement de la dépendance est peu abordé dans la campagne présidentielle. Certains candidats évoquent toutefois des axes de développement, parmi lesquels :

  • la création d’une 5ème branche de la Sécurité Sociale ;
  • le développement de l’assurance dépendance privée via des incitations fiscales.

En Allemagne, l’assurance dépendance obligatoire est instituée depuis 1995. Ce type de couverture permet une mutualisation intergénérationnelle du risque. Néanmoins, la mise en place d’une contribution obligatoire peut peser dans le budget des jeunes ménages, pour lesquels le financement de la perte d’autonomie n’est pas une priorité.

 

Afin de compléter les prestations de ce régime obligatoire et limiter la dérive des dépenses publiques, le gouvernement allemand a introduit en 2012 une mesure destinée à encourager l’assurance complémentaire privée : les personnes souscrivant une assurance agréée par l’Etat (polices dites « Bahr ») bénéficient d’une aide de 5 € par mois pour au moins 10 € investis dans une telle assurance. Les assureurs doivent proposer ces contrats sans sélection médicale ni surprime. Selon des données de 2014, plus de 400 000 contrats ont été souscrits, dont 40% de la part de jeunes, âgés de 25 à 35 ans.

De tels partenariats publics / privés sont également en place aux Etats-Unis, et prévoient principalement :

  • un assouplissement des conditions d’admission aux aides publiques pour les personnes ayant contracté une assurance privée agréée par l’Etat ;
  • des avantages fiscaux.

 

A Singapour, l’Etat ne participe pas directement au financement d’une assurance dépendance privée, mais prévoit des conditions de souscription avantageuses via le programme ElderShield : dès l’âge de 40 ans, une partie des cotisations salariales destinées à couvrir les soins médicaux (compte individuel Medisave) est automatiquement affectée au financement d’une assurance dépendance auprès d’un assureur agréé. Les Singapouriens peuvent refuser l’adhésion à ce programme, mais perdent dans ce cas les avantages offerts : l’encadrement du tarif et l’absence de sélection médicale. Lancé en 2002, le taux de refus d’adhésion au programme ElderShield est passé de 38% à sa création, à 14% en 2006.

Le débat public doit donc continuer afin de mettre en place un système de financement pérenne et assurant une qualité de vie suffisante non seulement pour les personnes dépendantes, mais aussi pour les acteurs contribuant à leur bien être tels que les aidants et les salariés du secteur gériatrique. L’Etat a d’ailleurs initié des actions en leur faveur :

  • La loi d’Adaptation de la Société au Vieillissement, applicable au 1er janvier 2016, reconnait un droit au répit pour les aidants et instaure depuis le 1er janvier 2017 le congé de proche aidant ;
  • La circulaire d’avril 2016 relative aux orientations pour le budget des établissements et services médico-sociaux accueillant des personnes handicapées et des personnes âgées encourage l’augmentation du taux d’encadrement dans les EHPAD.

Ces actions de l’Etat devraient être poursuivies et étudiées conjointement avec les organismes assureurs. La perte d’autonomie est une problématique sociale majeure pour laquelle il est nécessaire d’anticiper les dépenses futures.

 

[1] La grille AGGIR permet de mesurer le degré de dépendance physique et/ou psychique d’une personne âgée. Les niveaux de dépendance sont classés en 6 Groupes Iso Ressources (GIR), le GIR 1 étant la dépendance la plus lourde. Ces groupes sont définis en fonction des capacités de la personne âgée à accomplir 10 activités corporelles et mentales, dites discriminantes et 7 activités domestiques et sociales, dites illustratives. Seuls les GIR 1 à 4 ouvrent droit à l’APA.

 

[2] Etude DREES de mars 2016

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